Volver a la página principal
Número 10 - Noviembre 2008
Du monstre phobique au Totem,
et du Totem au Nom du père
Gérard Pommier

Imprimir página

Ver traducción al castellano Traducción al castellano

§1 - La « plaque-tournante » de la phobie.

Entre deux et six ans, les enfants traversent une période plus ou moins longue de cauchemars. Ces terreurs nocturnes sont souvent indéfinissables : une peur de « quelque chose » s’impose, avant que l’on sache de quoi 1. Et puis, au fur et à mesure que s’installe la période de latence, les monstres s’amenuisent, s’évaporent enfin. De sorte que le clinicien aura cette idée juste que la phobie est une sorte de plaque-tournante entre refoulement primordial et refoulement secondaire 2. De cette évolution, il pourrait déduire que la phobie est liée à l’enfance et que, lorsqu’elle se maintient ou réapparaît, c’est qu’émerge le vestige d’un autre temps. Ce serait oublier que la phobie a évolué, qu’elle s’est diversifiée selon les potentialités de la structure.

Les phobies de l’enfance témoignent du moment le plus contradictoire de la construction de l’Œdipe, et c’est seulement dans cette occurrence évolutive qu’elles constituent une entité clinique isolable, quoique pendant peu de temps. Tout aussitôt, elles se prennent dans une structure dont elles ne sont plus qu’une variable. La phobie fonctionne comme une plaque-tournante, puis devient une partie d’un ensemble plus vaste qu’elle aura aidé à construire. Peut-être réduite à de minuscules entité s, peut-être masquée par de multiples ratiocinations, on retrouvera les phobies dans les psychoses, les névroses ou les perversions. N’importe quelle forme clinique peut exposer son refoulé soit sous forme de somatisations, soit hors du corps sous forme de phobies (soit d’ailleurs les deux). Cette potentialité dépend du complexe paternel, qui intéresse à des titres divers toutes les structures 3.

Examinons pour commencer cette « plaque-tournante ». Ce qui angoisse d’abord le sujet, c’est la façon dont son corps entier est aliéné dans le désir de l’Autre maternel. Cet Autre, ou plutôt le manque de cet Autre sera l’occasion de la phobie primaire. Avec le manque, l’agoraphobie fonctionne comme une « première » phobie, au sens où, à la porte d’entrée de la plaque-tournante qui va translater le refoulement primordial en refoulement secondaire, l’angoisse de la castration maternelle tire le sujet vers un vide dont il a horreur. Ce vide, qui forme l’arrière-fond de toute phobie, c’est l’angoisse du sujet d’être aspiré par l’identification à un phallus maternel absent. C’est cette phobie du vide qui se déclenche régressivement dans les névroses, lorsque le père chute de sa place et laisse s’ouvrir l’insondable gouffre de la demande maternelle. L’agoraphobie « primaire » est aussitôt incarnée par quelque objet 4. Le symbole phobique cristallise au point même où le signifiant manque. Un vide sans mot déclenche une agoraphobie du corps en situation de basculer dans ce manque, qui l’aspire vertigineusement. Dans cette angoisse d’une chute imminente, une phobie sert d’abord de rambarde au corps.

À l’orée de la plaque-tournante, s’engage à pleine puissance le monstre total de l’angoisse de la castration maternelle, que l’angoisse de la castration par le père fait ensuite bifurquer selon les multiples voies fantasmatiques de la séduction ou de la scène primitive, jusqu’aux fines ramifications de l’hystéro-phobie. Au fur et à mesure que le père apparaît comme agent de la castration, cette phobie primaire se dialectise. Le trauma sexuel « du » père, éparpille le monstre d’origine, au point que l’on reconnaît à peine les rejetons phobiques dans les papillonnements fantasmatiques de la névrose, à proportion de l’angoisse 5.

P.L. Assoun a fait remarquer que Freud dégage deux grands ordres de phobies : les phobies de situation, et les phobies d’objet 6. Ces deux ordres retracent le devenir de la plaque-tournante phobique : le corps entier est d’abord pris comme phallus maternel, et il n’échappe à l’angoisse qu’en tombant sous le coup de la castration par le père, qui concerne cette fois-ci le pénis. L’angoisse de la castration maternelle ouvre un gouffre, aussitôt déplacé vers l’agent de cette castration, un père. Cette angoisse de second ordre abandonne le vide où le corps est pris « en situation » pour s’extérioriser en objets phobiques. La phobie de situation concerne le corps dans l’espace (qui est toujours celui du grand Autre) et précèdent les phobies d’objet, qui ne les éliminent pas. Elles peuvent réapparaître à des moments d’angoisse particuliers. Freud lui-même a souffert de telles phobies de situation régressives, notamment au cours de ses voyages 7.

Les phobies d’objet s’élaborent à partir des symboles des traumatismes de l’histoire selon le feuilletage de la névrose infantile, et elles prennent leur régime de croisière à l’age adulte. Elles s’appuient sur des symboles à multiples connexions (régressives et progressives) et rien n’est plus variable par exemple que l’origine des phobies d’animaux (Tierphobie). Un animal de légende sort de son récit, ou bien un animal familier se défamiliarise. Il condense plusieurs chaînes, et peut grimper à lui seul les différents degrés de la phobie. Le cheval du Petit Hans, par exemple peut mordre, menaçant d’avaler le corps tout entier. Il peut tomber, tirer une charrette, symboliser les scénarios qui formalisent l’angoisse de castration, jusqu’à représenter le père lui-même, faisant ainsi ressortir « l’essence remarquablement diffuse et aussi bien si strictement déterminée de la phobie ». Le cheval est devenu l’objet de prédilection de « l’attitude ambivalente envers le père 8». L’angoisse de la castration de la mère enclenche l’horlogerie phobique qui, après un tour de cadran, met le père en position d’agent de cette castration, selon un nouvel avatar qui utilise le même animal phobique. Au début du « Petit Hans » le cheval est d’abord lié à la mère 9, puis il incarne le père.

La dynamique de la phobie va de l’angoisse du vide à l’angoisse de « quelque chose » de vivant, qui capitalise plusieurs lignes de pensées contradictoires synchroniquement et diachroniquement. L’objet phobique est incompréhensible, parce qu’il fonctionne en même temps sur plusieurs tableaux, allant de l’aliénation maternelle aux contradictions du complexe paternel. Mais il met ainsi en scène un père violeur qui plonge dans la régression, de sorte que d’autre part, son enveloppe formelle pulsionnelle (surtout orale et scopique) remémore l’angoisse de la castration maternelle. En somme, et tout comme le symptôme, il a un pied dans l’enfance, et l’autre dans l’âge adulte 10.

Pourquoi un certain objet cristallise brusquement en phobie ? Lorsque arrive le moment ou s’impose une angoisse de ce qui n’a pas de nom, ou une contradiction aussi incompréhensible que l’amour et la haine, le sujet s’absente de ce dilemme qui le dépasse, et dans ce moment d’absence, le problème se transpose au dehors. « Lui-même » se retranche d’une énigme qu’il ne comprend pas. Le sujet s’est lâché lui-même, et se retrouve au-dehors dans ses sensations, qui cristallisent ainsi sur un objet 11. Ce n’est donc pas simplement que le sujet opérerait une division pratique entre l’amour de son père et la haine projetée sur l’objet phobique. C’est plutôt que l’objet reprend à son compte l’ensemble du problème posé, et reste aussi incompréhensible que lui 12. L’objet phobique est donc loin d’être la simple projection d’une représentation angoissante, comme une sorte d’avant-poste en réalité protecteur. Semblable à l’image du rêve au contraire, son oxymore extériorise la réalisation d’un désir.

Plus précisément, il angoisse à proportion d’un désir refoulé. Ainsi, par exemple, dans L’interprétation des rêves 13, une jeune femme a des désirs de mort refoulés à l’égard de sa mère. Freud écrit à son propos : « Elle présenta des phobies hystériques; celle qui la tourmentait le plus était l’idée qu’il avait pu arriver quelque chose à sa mère. Où qu’elle se trouva, elle se précipitait vers la maison pour s’assurer que sa mère vivait encore. » Freud n’emploie-t-il pas ici le terme de phobie par excès? Car rien ne ressemble à un objet de ce nom dans son exemple. Mais en y réfléchissant mieux, apparaît une caractéristique inapparente dans la plupart des objets phobiques : on discerne mal à quel titre ils réalisent un désir refoulé. La phobie expose la part la plus obscure du désir humain : son masochisme foncier, qui n’est nullement ce qui viendrait contrarier le désir, mais le désir lui-même 14.

L’angoisse trouve dans l’objet une cause qui la fixe et délimite l’espace. La phobie s’étage d’une phobie primaire à une phobie secondaire qui, lorsqu’elle régresse, ne retombe pas purement et simplement dans le premier genre, dont elle emprunte seulement la formalisation pulsionnelle (par exemple, un loup – paternel, sodomise par dévoration – pulsionnelle). On peut généraliser ce constat en montrant que les phobies de l’adulte ne sont pas en continuité avec celles de l’enfance, ou plus exactement que, une fois passée la fin de l’adolescence, il se produit un changement qualitatif irréversible des mêmes matériaux. C’est que le traumatisme sexuel du père devient à ce moment seulement « compréhensible », au sens de la jouissance sexuelle qu’il comporte, tout du moins. En ce sens, il existe des phobies qui sont propre à l’adolescence, comme la phobie du sang, l’érythrophobie, les dysmorphophobies, ou des phobies liées aux modifications corporelles. Elles sont liées à l’avènement d’une jouissance sexuelle totalement différente de celle de l’enfance, perverse polymorphe. Quelles que soient leurs enveloppes formelles, elles n’en jouent pas moins une répétition générale de l’affrontement avec le père, dont le dénouement est parfois incertain.

Il arrive ainsi qu’une phobie se développe tardivement. Après tout, c’ est pendant la vie entière que frappent des traumatismes articulés à ceux de l’enfance (c’est même la définition de la névrose « adulte »). Ce fut le cas de cette jeune femme récemment arrivée en France qui avait été brusquement incapable de conduire sa voiture. À chaque fois qu’elle prenait le volant, elle avait le sentiment qu’elle allait mourir d’un moment à l’autre. Je lui demandais depuis quand elle avait son permis. Depuis plus d’un an, répondit-elle… et elle y repensait brusquement en le disant, son mari avait été tué quelques jours plus tard dans une action de guérilla. Elle avait toujours pensé que cet homme serait assassiné un jour ou l’autre, et sa phobie s’était déclenchée à peu près au moment anniversaire de son décès. C’était elle, maintenant, qui se sentait menacée de mort imminente, comme si elle payait ainsi sa culpabilité d’avoir aimé un homme dont elle avait pressenti le destin. Elle l’avait murmuré : « oui, je savais qu’il allait mourir ». Cette « phobie-anniversaire » renvoyait sûrement à d’autres évènements de l’enfance. Mais le fait est que, sans pousser plus loin l’investigation, elle n’y pensait même plus quelques semaines plus tard.

§2 - Quel est le moteur de la plaque-tournante ?

L’angoisse de castration ouvre une crise grave, qui subsume l’ensemble des fantasmes fondamentaux. Résumons les résultats avant de détailler les processus : le rôle d’agent de la castration maternelle est dévolu au père, et ce lien violent du père à la mère se représente par la scène primitive. Dans cette scène, le rapport sexuel est l’équivalent d’une castration, ou plus exactement d’une féminisation par sodomie 15. En ce sens, le rôle castrateur du père est entièrement subsumé par sa capacité sexuelle à l’égard de la mère. Un père « castrateur » n’est pas un père menaçant, mais l’homme qui tient sexuellement la mère sous sa coupe 16. Pour l’enfant, ce moment de castration de la mère devrait être une délivrance, d’abord celle de son identification au phallus. Mais cette délivrance par le père induit en même temps une séduction. Pourquoi cette violence est-elle séduisante pour l’enfant ?

« Séduction » veut dire induction du désir sexuel, au moment où plusieurs évènements, de sens contradictoires, tombent en même temps. Avant de les développer, rassemblons en quelques phrases les séquences contradictoires de ce moment. Le lecteur ne va pas comprendre cette condensation d’évènements, qu’il faut pourtant se représenter d’abord en une fois, avant de les développer. Que se passe-t-il? D’un côté, il faut en finir avec l’aliénation insupportable d’être le phallus maternel, séparation qui se réalise par la jouissance masturbatoire (appropriation du pénis ou du clitoris). Cette jouissance de l’organe génital a comme condition que le père castre la mère sous la forme du rapport sexuel. Cette violence du père, libère la demande de phallus maternelle. La castration de la mère par le père s’accompagne d’une jouissance masturbatoire : ce plaisir est le moteur de la séduction par le père. Le père séduit, parce que la possibilité même de la jouissance phallique procède de sa violence. Grâce à ses mauvaises manières, une libération sexuelle se fomente, et du même coup il séduit sexuellement. Enfin, dernière conséquence involontaire, cette séduction féminise et elle est par contre coup castratrice (cette fois-ci de l’enfant).

Pendant le temps de cette subduction par le père, l’enfant est coupable de renoncer à son identification au phallus, de trahir sa mère par cet abandon. Et ce renoncement jouissif s’accompagne d’une sorte de certitude de la punition : les coups sont attendus, ou plutôt, ils accompagnent ce mouvement. C’est la mère qui devrait administrer cette punition mais, dans la mesure où le père est l’agent de la castration maternelle, il capitalise cette violence d’autant plus facilement que ce transfert préserve le lien d’amour de l’enfant pour sa mère. Les coups ou les punitions du père introduisent ainsi à la jouissance phallique17. Le père dialectise l’érotisme pulsionnel, mais l’entrée dans la jouissance phallique au prix de ses coups défalque sa présence de son animalité. Le pulsionnel de la phobie primaire jouait sa mesure en boucle, aussi bien dehors que dedans. C’est sur la trace de ce biface de la pulsion que le père se divise entre amour et exécration, au moment où l’angoisse de la castration maternelle est dialectisée par l’angoisse de la castration par le père 18.

En ce sens, une phobie caractéristique aiguille la plaque-tournante des phobies primaires vers les phobies secondaires. C’est la phobie de l’obscurité et de la solitude, dont Freud note qu’elle déclenche l’onanisme infantile, qui dans ce cas, n’est pas d’abord un plaisir, mais un moyen de lutter contre l’angoisse 19. Tout se passe comme si, dans l’obscurité, le corps était confronté à l’omniprésence de l’Autre, et absolument requis de s’identifier au phallus. Telle est l’origine des terreurs nocturnes devant des monstres dévorants, et la masturbation prend le sens d’avoir le pénis (ou le clitoris) pour ne plus être le phallus. L’angoisse de castration est sexuellement excitante.

Dans l’obscurité silencieuse ou dans les grands espaces vertigineux, plus rien ne reflète le corps. L’absence de parole aussi participe de cette perte de substance, car parler reflète 20. La solitude (alleinsein) engendre la masturbation, parfois devant le miroir 21, qui distancie le reflet du phallicisme. Cette phobie est donc caractéristique du passage de la jouissance de l’Autre à la jouissance phallique. En même temps, cet onanisme est coupable, puisqu’il consiste à se dérober à l’identification angélique requise par la mère. Les enfants se cachent de cette activité sans qu’on leur ai dit qu’elle était prohibée (l’angoisse de castration ne résulte d’aucune menace) et ils craignent par conséquent de perdre l’amour maternel. C’est dans ces circonstances que le père est bienvenu pour supporter l’interdit à la place de la mère bien-aimée. La phobie s’est ainsi translatée sur le père au bénéfice de l’amour. Cette scénographie en plusieurs actes du complexe de castration présente une face visible, celle de la « scène primitive » dont le sens sexuel reste une complète énigme, car son évidence jouissive comporte un sens contraire (la punition). La vision d’un couple en action est captivante et laisse interdit.

Ainsi de ce jeune homme qui ne supporte pas les guêpes, aiguillon pour lui de la scène primitive, comme on va le voir. Cet insecte se rencontre peu à Paris, mais il y pense pourtant souvent. Chaque fois qu’il mange un fruit par exemple, ou fortuitement pendant la journée, s’il entend un bourdonnement. La guêpe est un organisateur psychique de son quotidien. Dans un rêve, il se trouve seul dans un appartement, et une guêpe pénètre par la fenêtre. Le temps de virevolter dans la pièce, l’insecte a pris des proportions énormes au point d’occuper presque tout l’espace. Loin de s’angoisser comme cela lui arrive à l’état de veille, il frappe la guêpe avec l’une de ses chaussures. Elle tombe alors et se scinde en deux. A ce moment apparaît également dans la pièce sa grand-mère, qui avait - elle aussi - horreur des guêpes. Par quel miracle se trouvait-elle à cet endroit, qu’il identifie alors comme étant la maison de ses parents dans le midi ?

C’est la question qu’il se pose dans le rêve, alors qu’il aperçoit par la fenêtre l’arrière d’une voiture d’ancien modèle, le coffre grand ouvert, noir et inquiétant. Lorsqu’il était enfant, il s’ était un jour coincé les doigts dans le coffre d’une voiture semblable à celle-là. Par la suite, un rêve récurrent s’était répété : pendant des années, le même coffre claquait sur sa main. Bizarrement, ce rêve n’était pas apparu tout de suite, mais plus tard, après un accident : il se trouvait cette fois-ci à l’arrière d’une voiture que conduisait son père, sa mère étant à ses côtés. La voiture avait dérapé et heurté un poteau. Il avait été projeté durement en avant, tandis que, selon son souvenir, ses parents s’entrechoquaient entre eux. Il n’apprenait rien de nouveau en se remémorant cette scène, mais il s’étonnait aujourd’hui de constater que le rêve récurrent du doigt coincé ait débuté seulement après cet accident - c'est-à-dire environ deux ans plus tard. De même qu’il s’étonnait aussi de penser brusquement à une autre scène : il était à l’arrière d’une voiture, vraisemblablement alors qu’il était adolescent. Pendant un voyage nocturne, un adulte ami de la famille assis à côté de lui avait cherché à lui caresser le sexe.

Peut-être aurait-on déjà pu développer à partir de cette série d’ associations les traumas qui étaient sans doute cachés derrière les souvenirs-écrans du doigt coincé, de l’accident de voiture, et de la séduction. Il n’en faut souvent pas beaucoup plus pour commencer à construire les fantasmes de scène primitive et de séduction, dans leur articulation à l’angoisse de castration. Mais je voulus d’abord en savoir davantage sur l’énorme guêpe scindée en deux au moment de sa chute. Il ne put d’abord pas répondre à cette sollicitation. Tout ce qui lui venait, c’était des souvenirs récents de déjeuner dans le jardin à l’automne, chez ses parents. Ces derniers se moquaient de lui à chaque fois qu’une guêpe s’approchait. De même, ils lui téléphonaient souvent en disant qu’ils avaient pensé à lui en voyant passer une guêpe. L’aiguillon de la guêpe, c’était leur union. …Ça y était, il avait trouvé ! La guêpe était le signe de son exclusion par rapport à leur couple. Il comprenait alors ce que la grand-mère était venue faire dans cette aventure onirique. De la rencontre de ses parents, de même d’ailleurs que de leurs relations intimes, il avait tout appris par la bouche de cette grand-mère, qui commentait avec lui leurs faits et gestes. C’est d’elle aussi qu’il avait appris que son père n’était pas vraiment à la hauteur dans un certain domaine. Lequel ? C’était trop clair. Tout naturellement, sa grand-mère apparaissait au moment de la chute de la guêpe (symbole de l’union des parents) tout comme elle avait invalidé la dimension sexuelle de leur union. Tuer l’insecte monstrueux d’un coup de chaussure – et du même coup prendre son pied - donnait son sens paternel à l’animal phobique, au moment de l’invalidation de la virilité du père. Cette phobie de la guêpe fut progressivement oubliée après l’analyse de ce rêve, qui marquait en même temps un tournant dans le travail de deuil du père, décédé peu de mois auparavant. D’un certain point de vue, cette phobie évoque le rêve de l’Homme aux Loups, à cause de sa connexion à la scène primitive. La scène de séduction passive y est même plus explicite. En effet, une association se fait avec la tentative sexuelle d’un adulte sur le patient alors qu’il n’est certes plus un enfant : mais l’indice de séduction passive est là 22.

Le complexe de castration est bien un véritable nid de guêpes, qui articulent les uns aux autres les différents fantasmes fondamentaux. C’est non seulement au fantasme de « l’enfant battu » que s’articule la scène primitive, mais à la séduction. Le fantasme de séduction impose lui aussi une épreuve inextricable, puisque la violence du père engendre un désir impossible. La castration fait craindre au phobique les conséquences de son propre désir 23. En effet, le désir voudrait que, sous le coup de cette séduction, l’enfant accepte de perdre son genre, s’il est un garçon. Ou plus gravement de perdre son existence subjective (la vie) s’il est un garçon ou une fille (sous la menace de l’inceste, qui est une sorte d’assassinat sexuel). Que faire ? Aimer le père, ou le tuer après avoir risqué d’être tué par lui ? La bipartition des fonctions paternelles résulte de cette épreuve. En ce sens, la phobie extériorise la fonction castratrice et séductrice du père et elle n’est pas un signifiant, mais la condensation de signifiants contradictoires. 24 La névrose infantile ne peut résoudre le dilemme de la séduction. Elle tourne en rond dans son aporie et s’enfonce dans ce mouvement vertigineux, tant que le suffixe de la phobie ou de la conversion ne la fait pas entrer dans l ’espace-temps de la latence.

§3 - Distribution de la phobie dans les névroses.

Une fois embrayée la giration de la plaque-tournante, la phobie cesse d’être une névrose à part entière. Freud l’avait noté dès les débuts de son oeuvre, elle est seulement l’une des présentations possibles de l’hystérie, oscillant entre hystérie d’angoisse et hystérie de conversion 25. A cette dichotomie, il faut encore ajouter une nuance : la névrose obsessionnelle n’est qu’un dialecte de l’hystérie, et à ce titre, elle comportera, elle aussi, somatisations et phobies.

Lorsque Freud distingue les hystéries de conversion de l’hystérie d’angoisse, on pourrait en conclure qu’il s ’agit d’une opposition entre dehors et dedans. Le refoulement aurait en quelque sorte le choix, soit pour s’écrire sur le corps avec le symptôme, soit pour s’extérioriser dans l’objet phobique. Ces deux possibilités signifient que le refoulement s’accommode aussi bien de la pulsion - telle qu’elle se somatise, ou - bien telle qu’elle se supporte au dehors - grâce aux sensations 26. Le symptôme somatique et l’objet phobique se disposent symétriquement, la phobie étant d’ailleurs plus facile à examiner du fait de son extériorité, dont on peut faire une historique.

Cette bipartition de la localisation montre qu’il existe une certaine souplesse dans la présentation du refoulement 27. Après tout, il est contingent que la régression se produise sur le bord externe ou interne de la boucle pulsionnelle. En un sens, le corps se trouve tout autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du point de vue psychique. Le symptôme et l’objet phobique ont donc à cet égard la même structure d’interdit de la jouissance, actualisé soit par la douleur physique, soit par l’angoisse de l’objet. On pensera alors que, au hasard des événements de l’histoire, l’angoisse se fixe sur un objet extérieur ou sur une fonction organique. Le corps de jouissance se bâtit entre un « extérieur » phobique et un « intérieur » symptomatique. Cette fabrication du corps s’appuie sur des événements qui sont peut être d’abord contingents, mais deviennent ensuite des symboles qui servent de base régressive au symptôme ou à la phobie.

Cependant, il est toujours inconfortable de penser que des formes cliniques seraient le fruit du hasard. En y regardant mieux, on distingue des critères de répartition, car le degré d’érogènéisation du corps dépend pour beaucoup des avatars du complexe d’Oedipe. Dans la névrose ordinaire, c'est-à-dire l’hystérie, le fantasme est équilibré par le désir du père. Le génitif laisse dans l’indétermination le sujet et l’objet. Est-ce le père qui désire la fille (ou le fils féminisé); ou bien n’est-ce pas plutôt le contraire ? A cette équivoque, se rajoute une contradiction encore plus lourde : désirer le père, c’est accepter une féminisation aux conséquences incestueuses, donc psychiquement mortelles. Le traumatisme de la séduction procède de cette double équivoque, si profonde et si contradictoire qu’elle ne peut accéder à la conscience. Si grande est la violence du désir que le sujet ne sait plus qu’il désire, ou plutôt il reconnaît si bien son tourmenteur qu’il ne souhaite qu’une chose : c’est qu’il disparaisse, qu’il s’efface. De sorte que seule demeure l’illusion d’un pur désir. On l’a dit : le complexe incompréhensible du père se scinde ainsi entre désir et détestation. La duplicité du fantasme est telle que, finalement, le Janus paternel disjoint ses deux moitiés : la partie détestée engendre la phobie.

Il existe un équilibre instable du génitif fantasmatique. Le traumatisme sexuel est purement « subjectif », lorsque pas un mouvement de la chair ne le déséquilibre. En revanche, le traumatisme devient « objectif », lorsque des gestes de séduction effectifs déséquilibrent le génitif du fantasme. Plus la séduction effective aura eu d’intensité, plus le complexe paternel se scindera en figures phobiques : celles qu’il faudrait tuer, n’eut été l’amour. Au fur et à mesure qu’une séduction d’abord seulement psychique se traduit par des actes, l’équivoque du génitif du « désir du père » s’amenuise. De sorte que la fille ou le fils voit s’amoindrir sa latitude de désirer, et cela à proportion de sa certitude grandissante d’être désiré(e). Le désir dont l’équivoque s’abolit s’effondre en lui-même : son sujet s’objective et se dépersonnalise sous le coup d’une séduction réalisée, donnant sa dimension dramatique aux incestes effectifs.

L’hystérie est une névrose métastable 28 : elle ne connaît un moment de repos que lorsque le génitif de la séduction s’équilibre. Le plus souvent, il vacille entre la séduction exercée par le père ou celle que la fille veut exercer sur le père, dangereuse au moindre signe de succès. La ligne de partage entre phobie et conversion reste ainsi incertaine 29. Car, au moindre signe d’intérêt du père, le fléau de la séduction s’abat. Tant que la fille désire en vain, la conversion garde l’avantage. La séduction impossible stabilise le corps hystérique : le père vivant, qui n’a pas bougé d’un cil au moment de la séduction, laisse à sa fille toute la responsabilité de son désir, et toute sa culpabilité du meurtre fantasmatique qui en résulte. Une jouissance peccamineuse viendra dans cette mesure marquer son corps, désormais lieu de renaissance du père avec les symptômes. Le conflit oedipien arrive à son point le plus aigu, lorsque le vœu parricide engendre une telle culpabilité que le sujet renonce à ce pourquoi il a eu ce fantasme de mort. En ce cas, la jouissance refoulée fait retour au niveau du corps, lesté de quelque façon par le symptôme.

Lorsqu’une séduction objective triomphe au contraire, elle entraîne une chute régressive, et la phobie extériorise l’ angoisse. Le système régresse dès que le père montre un signe d’intérêt sexuel pour sa fille. Aussitôt séduit, aussitôt évaporé : l’espace-temps se déstabilise selon le decrescendo vertigineux d’un corps qui ne se tient plus lui-même, d’abord happé par un vide, première forme régressive de la phobie, puis le rapt du corps, son déplacement, dans l’avion, le train, l’ascenseur, etc. Le « transport » délocalise le corps délesté de sa jouissance 30. Dans ses premières conceptions, Freud considère l’agoraphobie de ce point de vue régressif : il la compare à un refoulement de la prostitution 31. La prostituée s’offre à tous les hommes : donc à son père. Et derrière ce père déchu s’ouvre le gouffre de la rue. Le fantasme de prostitution est en quelque sorte l’issue de secours de l’agoraphobie 32. Pour ses débuts, Freud tire au canon, et il donne tout de suite un sens sexuel à des phobies du vide qui en semble pourtant bien éloigné. Ainsi de « la peur de se jeter par la fenêtre » réduite à : « aller à la fenêtre pour faire signe à un homme comme le ferait une prostituée » 33. C’est là installer l’agoraphobie dans la névrose, alors qu’il existe aussi dans les psychoses une angoisse et un attrait du vide, explicite par exemple dans ce type de suicide ou le corps se rejoint au travers d’une fenêtre.

Freud a maintenu la relation de la phobie du vide à l’angoisse de castration tout au long de son œuvre, cette phobie « primaire » 34. est articulée à l’angoisse de castration par le père. Ainsi, toujours dans Inhibition, Symptôme, Angoisse, un jeune homme agoraphobe craignait par-dessus tout les avances des prostituées et d’en être puni par une infection syphilitique. L’absence du père, résultat du vœu de mort du névrosé, se réalise dans l’angoisse de la prostituée (femme fantasmatique du père) et la punition de ce meurtre se traduit par la phobie de l’infection. Le père est absenté (mort) mais il revit dans le symptôme.

La double face de l’objet phobique des névroses correspond à ces deux tranchants du complexe paternel : ou bien aimer le père, et dans ce cas risquer la sodomie. Ou bien l’éliminer, et dans ce cas son absence enclenche une chute en abîme régressive. Le phobique est en quelque sorte coincé entre ces deux lames. Les schématisations habituelles du complexe d’Œdipe considèrent seulement son résultat, et ne permettent pas de comprendre facilement ce coinçage. Le premier temps du complexe met le sujet en position sexuellement passive par rapport au père. L’amour du père, c’est trop d’amour qui vire à la haine parricide. L’amour, c'est-à-dire ce dont la jouissance du corps est attendue, est ainsi vissée à ce corps par la culpabilité. La culpabilité subjective et domicilie une jouissance qui, sans elle, finirait dehors. On comprend mieux maintenant l’érotisation grâce aux coups du père. Le père frappe – du seul fait d’ailleurs que sa présence soit privilégiée par la mère – sa présence est « frappante », au sens où en sa proximité, les manigances de la relation mère enfant passent au second plan. Ces « coups » bizarres font ainsi tomber la tunique de Nessus de l’identification phallique : de sorte que l’érotisation du pénis (ou du clitoris) prévaut désormais sur celle du corps comme phallus. Cet érotisme incestueux par rapport au père est lourd d’une mort d’avant la vie, et cette mort se retourne en phobie contre ce monstre mort, au mieux relayée par un vœu parricide, pour être enfin refoulée. Conséquence de cet amour, la haine du père resurgit scindée à l’extérieur, chronique 35 .

L’angoisse de castration par le père ne résulte nullement d’une menace qui aurait été proférée par lui, mais du désir qui lui est porté, c'est-à-dire de la crainte d’être féminisé par ce désir. La personne du père est ainsi divisée en deux figures, dont celle qui castre est rejetée au-dehors dans l’animal phobique : il naît d’un double retournement : retournement à l’extérieur, et renversement de l’amour en son contraire. Le sentiment tendre fait retour sous forme d’une peur d ’être agressé par un substitut du père.

Remarquons maintenant le renforcement qui s’opère dans la névrose obsessionnelle. Au contraire de l’hystérie, si un sujet a un doute sur la virilité de son père (pour sa mère) il devra s’inventer en supplément du père qu’il a, un père interdicteur, et dans sa suite un objet phobique. Le dialecte obsessionnel est plus ou moins important selon le niveau du doute. Plus le sujet affrontera un père qui lui permettra d’activer son fantasme parricide, plus le sujet s’appropriera son corps, qui sera désormais le lieu privilégié du symptôme (au-dedans). Et moins le sujet aura face à lui un père qui soit un homme (pour sa mère) moins la jouissance sera appropriée à son corps : l’objet phobique le limitera alors du dehors. Avec des exemples de premier plan comme ceux de l’homme aux loups ou l’homme aux rats, il n’est nul besoin de montrer l’importance des phobies dans l’obsession, ni leur relation à un père dont la violence fantasmée est proportionnelle à la débilité du père de la réalité. Et si l’hystérique est plus douée pour les conversions, c’est que son père, dans son rapport à sa mère, ne lui fit pas défaut côté privation. 36

Cette absence d’un père érotiquement lié à la mère peut s’extérioriser dans de multiples figures. Par exemple, lorsque le père va courir ailleurs et que la mère se console avec l’enfant. Ou encore, lorsque ce père se comporte comme un rival jaloux du fils, c'est-à-dire comme un enfant. Une configuration est suffisamment fréquente pour être soulignée : elle se produit lorsqu’une mère a des gestes séducteurs à l’égard de son fils ou de sa fille (ils sont attirés dans son lit, sa baignoire, les WC, etc.) Le geste incestueux peut être le fait d’un père, mais il peut être aussi accompli par la mère et, dans les deux cas, la figure du père se scindera en rejetons phobiques, soit directement, soit indirectement. En effet, lorsque le père séduit directement (dans l’hystérie) sa figure se scinde aussitôt entre celle du vivant et celle du mort (selon le vœu parricide). Et lorsque la séduction sexuelle vient de la mère (dans l’obsession), il faut inventer le père qui aurait du l’interdire. Un père mythique encore plus terrible est alors fantasmé, de sorte que les phobies de la névrose obsessionnelle sont souvent plus contraignantes que celles de l’hystérophobie. On aperçoit ainsi la différence entre la phobie hystérique et la phobie obsessionnelle.

Un jeune garçon ne pouvait plus aller à l’école depuis deux bonnes années. Chaque fois qu’il essayait, de fortes angoisses se déclenchaient. Rien n’y avait fait : médicaments, rééducation comportementale et même une hospitalisation. Il avait pu prendre des cours particuliers, qui lui réussissaient bien, d’ailleurs. À son premier rendez-vous, il m’apprit qu’il avait eu beaucoup d’affection trois ans plus tôt, (en CM2) pour son professeur principal. Mais ce dernier avait été brutalement incarcéré sur une rumeur de pédophilie. Il semble que ce professeur ait seulement gardé un enfant perdu, le temps que ses parents soient retrouvés. Pourtant, il n’en avait pas fallu plus pour qu’un juge le fasse mettre 24 heures au dépôt. La suite était prévisible : le professeur avait dû changer de quartier et de lieu de travail. La phobie scolaire de mon jeune patient s’était manifestée ensuite et son ressort me semblait clair : la menace d’un lien sexuel avec un adulte était refoulée par l’amour pour lui. La phobie avait résulté de cette division, m’avait-il semblé. Pourtant, le jeune homme me fit remarquer que ses angoisses ne s’étaient déclenchées que six mois plus tard. Que s’était-il donc passé pendant cette période ? La famille de son meilleur ami était partie à l’étranger, et l’ami avait été hébergé quelques mois chez lui, le temps d’être suspecté par sa mère d’avoir volé, et d’être finalement renvoyé de la maison. C’est seulement suite au renvoi que la phobie s’était déclenchée. Le même signifiant « renvoi » avait valu pour deux situations distinctes, toutes deux soldées par l’invalidation d’un homme (ou d’un garçon) aimé. Dans la deuxième occurrence, la mère avait été l’instigatrice du « renvoi » et elle était devenue ainsi l’équivalent de l’institution scolaire, qui avait rejeté injustement le professeur aimé. Le recouvrement de l’école par la mère avait validé le type de division de l’homme et du père qui amène une extériorisation de l’angoisse de castration dans un objet phobique (selon un prolégomène assez courant de la névrose obsessionnelle).

L’hystérique n’a pas comme l’obsessionnel à faire vivre un père toujours déjà mort (dans le désir sexuel de sa mère) et son problème est exactement inverse : il consiste à tuer un père trop vivant. Les objets phobiques seront donc plutôt ceux qui lui permettraient de réaliser un meurtre ou un suicide. Selon le versant de la névrose, les objets phobiques ont donc une disposition opposée, bien que les invariants soient les mêmes. La phobie de l’obsessionnel se centre sur une animalité castratrice du père (un rat, un loup). Celle de l’hystérique sur l’enfant du père : la vermine, les petits animaux, la saleté ou sur les armes qui pourraient tuer le père 37. Orientée selon les inflexions de la structure, la phobie connaît ainsi plusieurs formes, de la phobie d’impulsion, propulsée par la haine, à la phobie de répulsion, commandée par la culpabilité de cette haine, à la lutte contraphobique étayée par les rationalisations ou même par le savoir scientifique 38.

§4 - Le Totem avale la phobie, et le nom digère le Totem.

Au plus fort de sa puissance, le monstre phobique capitalise les symboles successifs dont il provient. Il est lourd d’un passé qu’il renie, mais qui continue de le travailler. Et, en supplément, il comporte les contradictions propres à son dernier avatar. Inextricable et armé dans toutes les directions, il semble fait pour durer. Et puis soudain, on perd sa trace : la phobie est guérie, pensera-t-on, sans se douter des liens qu’elle a tissé avec le Totem, ce véritable nom du sujet, plus vrai que son patronyme (auquel il s’identifie finalement, pour peu que sa mère y consente). La crise insurmontable de la castration se résout dans un autre registre, grâce à la prise du nom. Elle ouvre d’autres problèmes, solubles dans l’action.

On l’a rappelé, « angoisse de castration » signifie d’abord être avalé par le vide de l’Autre, puis subir une sorte de sodomie paternelle, et c’est le seul sens du rapport sexuel dans la sexualité infantile. Mais ce père violeur né de l’ amour ne parvient jamais à ses fins : il tombe en route. Il meurt du désir en voie de réalisation, puisque le coït paternel le déchoit aussitôt de sa fonction de père. « Fantasme parricide » est une expression un peu grandiloquente qui entraîne souvent des réticences. Elle est plus claire lorsqu’elle est articulée au désir sexuel lui-même (par exemple à l’orgasme). Le père meurt par les armes qui le firent vainqueur. Moment d’une chute qui est aussitôt régression dans l’espace pulsionnel maternel - jouissance du corps si l ’on veut, mais seulement jusqu’à un certain point - chute jusqu’à la dévoration dans les bras de Chronos, du diable à mamelle. La phobie oscille ainsi entre la dévoration, et le regard qui reconstitue la scène phobique elle-même 39. Rien n’illustre mieux un tel contenu que les strates du complexe de castration. Et comme cette situation, pourtant source de jouissance, met la vie en danger, (l’inceste avec le père, c’est mourir d’avant sa vie) elle est retournée en vœu parricide. Si le sujet y arrive ! La métamorphose de la bestialité du père en animal phobique est en quelque sorte un préliminaire de son exécution. L’objet phobique est en ce sens un Totem du père sexuel. Ce père totémique trouve son appui, moins sur le papa de la réalité, que sur sa défaillance, incarnée en un monstrueux contraire de surpuissance. L’animal élu de la phobie, source d’angoisse, l’est aussi de la vindicte. Et comme cette haine représente le vœu parricide déplacé dehors sur la part castratrice du père, l’animal phobique est ainsi raccordé au Totem 40.

Ce ne sont pas les rituels religieux ou guerriers qui suffisent à exorciser ce Totem, car il naît au plus intime du sujet. A dire vrai, il s’agit de la certitude du sujet lui-même. Car qu’est-ce qu’un sujet, sinon cette existence qui s’affirme presque malgré elle, de ne trouver nulle solution aux contradictions de son désir? Le « sujet » est d’abord celui du désir, celui d’une existence forcée, en exil de contradictions sans solution et même informulables. Le Totem phobique symbolise en ce sens l’existence du sujet : il est son premier nom. Et ce totem devenu le nom secret du sujet, va s’échanger contre le nom du père qu’il aime, pour prix de sa culpabilité parricide. C’est grâce à cette caractéristique appellative qu’il va se résorber, bien mieux que grâce à la liturgie obsessionnelle ou à la geste guerrière. Le nom totémique ne ressemble pourtant pas à son patronyme. Mais ce dernier en a la même valeur, pour peu que sa mère en ait fait le symbole de sa phobie de son propre père. De sorte que ce nom du Totem va se troquer contre un autre à l’occasion des dernières passes d’armes du complexe d’Œdipe, et c’est ainsi que la phobie s’évapore, lorsque le sujet s’identifie au père qu’il supplante. Il a alors échangé le nom de son Totem, qui fut d’abord objet phobique, contre celui de son père. À cette condition, il peut prendre le nom qui lui a été donné. 41

Un nom est donné à la plupart des enfants, mais ce n’est pas parce qu’ils le reçoivent qu’ils le prennent. Pour cette « prise de nom », un combat avec le père s’ordonne, et de l’issue de cette lutte dépend l’adéquation du sujet à son corps de jouissance, comme à la grammaticalité de ses phrases. Les conditions de possibilité de la « prise du nom » ne sont pas toujours réunies, la plus visible d’entre elles étant que la mère ait adopté le même Totem (le même nom du père) que celui que va prendre le fils ou la fille. Si ce n’est pas le cas, l’objet phobique aura quelques difficultés à se totémiser, son refoulement équivalant à son échange avec le patronyme. Il s’agit d’un refoulement dans un sens très particulier, car il concerne d’abord un échange. Le sujet troque son Totem secret contre le nom patronymique, et à la faveur de cette « père-mutation », la phobie d’origine est oubliée. Par la même occasion, le vœu parricide est refoulé, et ne demeure que la forme de reconnaissance du père procédant du don du nom.

Le nom du père porte en lui le fossile phobique (par exemple, en son plus intime, un sujet s’appelle « l’homme aux loups » ou « l’homme aux rats »). Puis il échange et donc refoule ce nom contre le nom de son père (son patronyme), et cela, beaucoup plus facilement si sa mère a fait avant lui cette opération. L’objet phobique s’oublie au profit du patronyme, à proportion du désir de la mère pour le père. Les noms patronymiques s’originent à l’évidence de noms totémiques. Et les noms totémiques, d’où viennent-ils ? Ils furent d’abord objets phobiques représentants du père castrateur, et à ce titre devenus pure fonction, ils perdirent toute connexion avec quelque chose que ce soit. Le Totem relègue ainsi le monde maternel de la pulsion : il est désormais propre à dénoter un sujet dont la caractéristique existentielle est de rejeter la pulsion. Il ne représente aucune chose en particulier, et en ce sens, il fait trou dans le réel pulsionnel. Un nom propre représente un sujet, qui s’affirme d’abord en niant qu’il soit un objet.

La phobie montre un symbole, d’abord celui du manque dans l’Autre - son vide - puis symbole de ce qui symbolise ce manque - le nom du père. Un symbole est requis lorsque plusieurs significations se recoupent et qu ’on ne peut exprimer autrement que grâce à lui leur écheveau. Par exemple, une image de rêve est souvent le symbole de plusieurs chaînes de souvenirs. La phobie éclaire en un sens beaucoup plus profond que le rêve la fonction du symbole, qui n’est pas un signifiant, (ni d’ailleurs un signifié). Au contraire, son symbole premier est l’ ouverture angoissée sur la signification phallique, et secondairement, le même symbole vient clore cette signification, translaté en nom propre par le truchement du Totem. Le Totem, pas davantage que le sujet qui s’y fie, ne sont des signifiants. Le nom du père est d’abord lui aussi un symbole. Entre l’ouverture sur le symbole phobique et sa fermeture, le sujet s’efforce de comprendre la cause de son angoisse : la parole et la pensée se déploient en fonction de ce plus intime, de ce si intime, qu’il vaut finalement comme le nom même de ce sujet à l’issue de la plaque-tournante. Ce nom particulier que prend le sujet lorsqu’il s’approprie son corps de jouissance, c’est celui de sa phobie qu’il totémise, puis patronymise. Le nom propre n’est pas simplement une signature, ou un point de capiton discursif. Être à la hauteur de son propre nom (l’honneur, si l’on veut) pousse en avant la pensée. Le patronyme est en ce sens causal. La pensée justificatrice, le déploiement signifiant, fonctionne dans l’après-coup d’un symbole qui, certes, résulte d’un rapport au signifiant, mais n’en est pas un lui-même. Du déploiement phobique à la prise de nom, l’angoisse du néant se translate en anéantissement du père, acte fantasmatique dont la culpabilité peut régler ses dettes à la petite semaine.

§ 5 Épilogue

La phobie s’est-elle donc entièrement évaporée à l’issue de ce processus, une fois le sujet au pied du mur de porter son nom, dont il paye les gages au jour le jour ? Non, car les choses du dehors restent lourdes de leur investiture phallique, et continuent de prendre leur relief à partir des déhiscences phobiques. Non aussi, car persiste toujours une angoisse de castration, qui dans l’ambiance la plus civilisée, continue de transpirer sous forme de phobie du féminin. Les hommes comme les femmes ont un problème avec le féminin, problème qui est le lieu de leur rencontre. La phobie du féminin exorcise, par contumace, la castration.

Cependant, une fois franchies le Rubicon qui sépare le Totem de la prise de nom, ces phobies résiduelles deviennent inapparentes. Car le sujet qui a pris son nom va désormais les mouliner à l’aune de ses ratiocinations. La phobie est refoulée ; mais elle continue de comporter en elle-même le problème insoluble : elle ne fait pas solution. En réalité, latente ou patente, les phobies restent un organisateur de premier plan du monde des perceptions. Non parce que le perceptum s’organiserait entre l’exécrable et le bénéfique, mais parce que la conscience du percipiens dépend de la façon dont il a pris son nom, dans sa lutte contre l’objet phobique. Le « je », divisé entre dedans et dehors, ne se rassemble jamais si bien que sous le coup de la phobie. Il se remparde contre le dehors à la mesure de son angoisse, et la conscience discriminative s’affirme dans sa lutte pour éviter l’objet d’exécration.

La phobie aiguillonne ainsi la pulsion de savoir. Les hommes cherchent à démonter et à comprendre ce qui est le cœur de leur détestation. L’angoisse, et non le danger, donne la mesure du réel 42. La pensée ratiocinante et les calculs cherchent à éponger le symbole phobique, de sorte qu’il restera oublié derrière la multitude des bonnes raisons. La phobie engendre des théories de la connaissance qui la mange : nous cherchons à connaître pour résorber notre angoisse. Par exemple, l’hygiène fera oublier derrière ses preuves scientifiques la phobie du toucher. La phobie de la saleté se résorbe dans les rituels religieux de l’impur, et le diable, une des figures du père, donne bien mieux la clef de la castration que les théories scientifiques de l’hygiène. La découverte des virus et des bactéries banalise la phobie.

Les phobies religieusement partagées par plusieurs ou rationalisées par la science deviennent transparentes. Des problèmes effectifs, par exemple dans le domaine de l’écologie, recouvrent facilement des phobies qui deviennent ainsi présentables, ou même militantes. La phobie est incontestable lorsqu’elle s’accroche à un objet qui ne présente aucun danger, comme un cafard - ou même à un objet à coup sûr inexistant, comme un loup. Un animal peut déclencher une angoisse indépendamment de sa nuisance réelle 43. Plus difficile à déceler sont les phobies qui représentent un danger réel. La peur du SIDA (danger réel) peut, par exemple, rationaliser une phobie. L’angoisse d’être contaminé par une maladie sexuellement transmissible pose un interdit sur la sexualité, et la phobie s’installe dans ce rôle névrotique de « Totem du père ». Son oxymore représente à la fois l’instrument jouissif de la punition par le père, et le prix à payer pour le vœu parricide44. La pensée s’enclenche pour résoudre ces contradictions et la rationalisation des phobies n’arrête pas de dévorer du père, manducation dont la culpabilité reconduit nos opérations ratiocinantes de dignes fils de Chronos, hantés par l’émasculation.

Notes

1 La phobie est toujours le suffixe d’une autre chose, encore indéfinie, ou même indéfinissable. Avant le suffixe phobique du discours médical, les peurs « sans objets » étaient attribuées à dieu ou au diable, ces deux compères du complexe paternel. Les phobies étaient alors épongées par les stratégies d’exorcismes de la dangerosité du père. Le mot « phobie » ne s’est lexicalisé en France qu’en 1881. Le suffixe apparaît en 1314, avec l’  »hydrophobie » qui désigne la peur de l’eau, symptôme de la rage. Un nombre grandissant de phobies sont homologuées dès les débuts du 19è siècle (l’agoraphobie est dégagée par Westphall en 1873 et par Legrand du Saule en 1878; la claustrophobie par L. Balle en 1879; l’éreutophobie et la dismorpobie en 1899 par Morselli et Kraeplin. Dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse, Freud constate que lorsque Stanley Hall distingue 132 sortes de phobies, il ne dit encore rien à son propos.

2 Dans le séminaire du 7 mai 69, Lacan affirmait que « la phobie n ’est pas un phénomène clinique isolé », en précisant que, plutôt qu’une entité clinique, c’est une plaque-tournante ». (D’un autre à l’Autre, leçon 16).

3 Les psychoses, par exemple, entretiennent un rapport à un père mythique : elles extérioriseront en conséquence de violentes phobies, sur une moitié du complexe d’Oedipe qui n’arrive pas à se symboliser (on dira pourquoi cette difficulté privilégie l’agoraphobie).

4 C’est en ce sens que « La phobie a été proposée à l’angoisse comme une forteresse frontière », L’interprétation des rêves, Chap. VIII.

5 Dans son article sur les Psychonévroses de défense, Freud écrit à propos de l’hystérie d’angoisse : « L’angoisse devenue libre, dont l’origine sexuelle ne doit pas être remémorée, se jette sur les phobies primaires communes de l’être humain : animaux, orages, obscurité ou sur les choses dont on ne peut méconnaître qu’elles sont associées d’une certaine façon avec le sexuel : urination, défécation, ou bien souillure et contagion en général ».

6 Cf. Paul-laurent Assoun, Leçons psychanalytiques sur l’angoisse, Anthropos édit.

7 Les témoignages de ses angoisses abondent dans les lettres à Fliess. Ainsi de cette lettre du 3 décembre 1897 (in Naissance de la psychanalyse, p.210) où son « train se met en mouvement avant qu’ il ait pu aller à Rome, ville symbole du désir interdit. Ce voyage s’associe pour lui à celui qu’il fit enfant : « J’avais trois ans quand nous passâmes par la gare allant de Freiberg à Leipzig. Et les flammes du gaz que j’y vis pour la première fois me firent penser aux âmes brûlant en enfer. La peur des voyages que j’ai du vaincre vient aussi de là. » Le déplacement en train est lié pour lui à la présence de sa mère et la recherche psychanalytique ultérieure doit sans doute beaucoup à cette angoisse.

8 Cf. Freud, Le petit Hans

9 Comme l’écrit Freud : « Le trouble nerveux débute par des pensées à la fois sentimentales et angoissées, puis par un rêve d’angoisse dont le contenu est le suivant : Hans perd sa mère, ce qui fait qu’il ne peut plus faire câlin avec elle...Ceci est le phénomène fondamental qui est à la base de son état ». De même un peu plus loin, alors que Hans a une crise d’angoisse dans la rue, Freud en conclut qu’« il veut rester près de sa mère. »

10 La forme régressive pulsionnelle infantile a beaucoup d’importance pour comprendre l’état d’angoisse physique dans laquelle plonge la phobie : le narcissisme est profondément atteint, puisque l’angoisse de la castration maternelle est ainsi exhumée.

11 Il s’est lâché au sens de cette bizarre « lâcheté morale,» expression employée par Freud dans Lucie R. (Études sur l’hystérie). Qui ne serait capable de lâcheté par amour ? C’est en ce sens d’ailleurs que la psychanalyse est une école d’Ethique, puisque le sujet affronte les conséquences d’un refoulement auquel il a consenti.

12 L’objet phobique, au même titre qu’une image de rêve, recouvre un contenu latent, comme l’écrit Freud dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse : « Le contenu d’une phobie a pour celle-ci à peu près la même signification que la façade manifeste du rêve pour le rêve. »

13 L’interprétation des rêves, Chapitre V, section IV, paragraphe 2.

14 Le rêve est une réalisation de désir alors qu’il expose le plus souvent des condensations de traumas actuels et infantiles. Le désir humain reste incompréhensible sans l’oxymore masochiste dont la naissance et l’évolution de l’objet phobique montre le devenir.

15 On pourrait se demander si l’angoisse de castration par le père a bien le même contenu que la féminisation. Freud, en tout cas, écrit à ce propos dans L’homme aux loups : « Le moi se protège par un développement d’angoisse de ce qu’il évalue comme un danger surpuissant devant la satisfaction homosexuelle », (chap.IX GW2/47).

16 Cette dépendance sexuelle ne se réduit pas à une frénésie de copulation. C’est un lien plus subtil et aussi plus puissant.

17 cf. Freud Un enfant est battu

18 Comme l’écrit Freud dans la section VII de Inhibition, symptôme, angoisse : « J’ai prêté jadis à la phobie le caractère d’une projection en ce qu’elle remplace un danger pulsionnel intérieur par un danger perceptif extérieur »... Cette remarque n’est pas fausse, mais elle ne va pas au fond des choses. Dans le cas de la phobie, on n’a, au fond que la substitution d’un danger extérieur à un autre danger extérieur » (le père remplace la pulsion). Freud décrit ainsi l’ensemble du mouvement de la plaque-tournante jusqu’à sa conséquence névrotique.

19 Dans les Leçons d’introductions à la psychanalyse, Freud fait remarquer que : « Les premières phobies de situation des enfants sont celles de l’obscurité et de la solitude ».

20 Comme l’écrit Freud dans les leçons d’introduction : « Wenn jemand spricht, wird es Heller ». « Quand quelqu’un parle, il fait plus clair ».

21 Cf. Freud dans Inhibition, symptôme, angoisse : « La phobie de la solitude veut détourner la tentation d’une onanie solitaire ».

22 On se souvient que dans l’Homme aux Loups, un animal phobique fait également partie de la scénographie : le loup (certes, encore moins fréquent que la guêpe à Paris). Tout se passe comme si s’était produit une scission de la figure du père et Freud écrit : « L’objet auquel l’objectif sexuel s’est attaché a été remplacé par un autre dans le conscient. Ce qui devient conscient n’est pas l’angoisse du père, mais celle du loup. »

23 Cf. Freud dans les Nouvelles conférences de psychanalyse : « Ce dont on a peur, c’est avec évidence de la libido propre ».

24 Il est d’ailleurs plus clair de dire que c’est un symbole.

25 C'est-à-dire, les névroses appelées communément hystérie et phobie. Freud considère la phobie comme un symptôme de l’« hystérie d’angoisse » dans le manuscrit A, en 1892 (in La naissance de la psychanalyse, p. 60) : « La mauvaise humeur périodique est une forme de névrose d’angoisse qui se manifeste ordinairement par des phobies ou des accès d’anxiété. ».

26 L’« extériorisation » de la phobie procède de la pulsion, qui est aussi bien dehors que dedans. Freud soutenait déjà en 1895 : « De la libido inutilisée est sans cesse transmuée en un semblant d’angoisse, de réel, et un infime danger externe est ainsi mis en position de représentation des revendications de la libido. ».

27 il existe de même des formes mixtes qui marient conversion et phobie : dans l’angoisse de la contagion, par exemple il s’agit d’une phobie d’avoir un symptôme

28 Les médecins grecs imaginaient déjà qu’elle résultait d’une navigation interne de l’utérus.

29 On se souvient que dans le cas de Dora, les deux éventualités se présentent.

30 Cf. Freud : « Une fois que l’angoisse est associée à un accès de vertige, la locomotion se refuse à des conditions telles que la solitude, les rues étroites. », in Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un complexe symptomatique comme la névrose d’angoisse, 1895.

31 Dans la lettre à Fliess du 17 décembre 1896 (in Naissance de la psychanalyse, p.161), il écrit qu’il s’agit du « refoulement de la compulsion à aller chercher dans la rue le premier venu, un sentiment de jalousie à l’égard des prostituées, et une identif ication à elles ». De même dans le manuscrit M (in Naissance, p.175) : « Cela revient à une « crainte de la prostitution » (de sortir seule) par suite d’une « identification à des personnes de basse moralité ».

32 On ne peut douter qu’il s’agisse de l’inconsistance du père, si on lit dans le manuscrit M (in Naissance p.182) : « L’agoraphobie semble liée à un roman de prostitution se rattachant aussi à ce roman familial. Une femme refusant de sortir seule témoigne ainsi de l’infidélité de sa mère »... (elle laisse sa fille seule avec son père).

33 Faire de la fenêtre » est tiré de l’argot des prostituées chez Maupassant !

34 On peut lire par exemple dans Inhibition, symptôme, angoisse à propos de la phobie des hauteurs (höhenphobien) fenêtres, tours, gouffres : « Elles pourraient avoir leur origine dans leur signification féminine secrète, qui côtoie le masochisme. »

35 « On ne peut empêcher le père de se montrer quand il veut », écrit Freud in Inhibition, symptôme, angoisse.

36 Il faut remarquer ici qu’une femme peut plus facilement qu’ un homme intégrer la séduction du père, qui ne menace pas son genre. Elle aura donc en ce sens davantage de prédisposition à la conversion que les hommes, dont la virilité est menacée par la séduction paternelle. On risque donc d’en tirer l’idée fausse que les femmes sont plutôt hystériques, et les hommes obsessionnels.

37 De même, par exemple, que l’hystérique cherche à inventer un savoir nouveau contre celui qui existe, alors que l’obsessionnel chante le savoir d’un père mort.

38 Freud n’emploie jamais le terme « contraphobique », mais la science (notamment psychanalytique) doit sans doute beaucoup à la lutte contre la phobie.

39 Comme l’écrit Freud « Les contenus d’angoisse : être mordu par le cheval et être dévoré par le loup sont les certitudes déformées dont le contenu est d’être castré par le père », (Inhibition, symptôme, angoisse).

40 Ou plus exactement, la phobie primaire est raccordée en-deça au fétiche (à la signification phallique) et au-delà au Totem.

41 C’est là une condition de la parole : que le sujet porte un nom n’appartenant pas à la chaîne signifiante elle-même. L’hors signifiant du symbole capitonne la parole et garantit son expansion.

42 Freud le remarque dans Inhibition, symptôme, angoisse : « Une connaissance instinctive des dangers menaçants au-dehors ne semble pas avoir été accordée à l’homme ou du moins seulement dans une mesure très modeste. »

43 Dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse, Freud évoque l’exemple d’une phobie des serpents (Schlangenphobie) : « Charles Darwin a écrit de façon tout à fait impressionnante comment il ne pouvait se défendre d’angoisse face à un serpent se déplaçant devant lui, bien qu’il se savait protéger par une vitre épaisse. »

44 Ce vœu parricide ne résulte d’ailleurs nullement de l’activité sexuelle, mais de la passivité à l’égard d’un père sodomite, comme le montre ironiquement ce fait que la plupart des phobies du SIDA se développent chez des sujets qui n’ont aucune activité sexuelle et n’en procèdent pas moins à de nombreux contrôles.

Volver al sumario de Fort-Da 10

Volver a la página principal PsicoMundo - La red psi en internet