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Número 2 - Octubre 2000
Entretien avec Jean-Michel Vappereau
Realisé par
Mirta Benitez, Ariel Pernicone y Michel Sauval

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Ariel Pernicone: Pour commencer, on voudrait vous poser la question à propos de votre expérience personnelle et surtout de votre relation avec Lacan.

Jean Michel Vapperau: C’est très simple, j’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai rencontré Lacan dans la même université, grâce à Desanti. J’y faisais un séminaire et aussi un cours de mathématiques et j’étais intéressé, de plus en plus, a la question de savoir la raison pour laquelle je faisais de la Mathématique; en principe, je voulais faire de la Physique et j’aimais la Physique; mais mon professeur m’a dit "aujourd’hui pour savoir de la Physique il faut absolument savoir de la Mathématique". Alors, j’ai suivi le cours de Mathématique pure et, en même temps, j’étais passionné par la musique. J’écoutais la musique contemporaine, le jazz. Je me posais aussi quelques questions sur la musique, dans quel sens allait la musique á ce moment-là. Toute cela m’a conduit au séminaire de Desanti. Et un peu avant j’avais commencé à lire Lacan avec des amis qui étaient des élèves en Philosophie et qui étaient, aussi, élèves de Kaufman (a Nanterre) à l’université. Ils suivaient un bon cours et tout cela nous avait incités à lire Lacan. J’avais déjà lu un texte de Reich et après j’ai trouvé que Reich évoquait l’au-delà au moyen du plaisir et, il soutenait que Freud se trompait. Mais, j’ai lu ce texte de Freud et j’ai été très surpris de m’apercevoir qu’il y avait une argumentation, un raisonnement, et que ce n’était pas du tout ce que Reich racontait. Je ne voulais absolument pas m’intéresser à la psychanalyse: je la considérais comme quelque chose de frivole et farfelue.

Voilà pourquoi j’ai été frappé par la lecture de Freud. Quand j’ai commenté ce que j’avais trouvé mes amis m’ont dit: "Lacan dit des choses comme ça". Ils m’ont poussé à lire "Au-delà du principe du plaisir", le problème de la répétition. Alors j’ai commencé à lire Lacan. Et je ne comprenais absolument rien. J’ai lu Lacan pendant plusieurs mois sans rien comprendre.

Je lisais beaucoup parce que j’étais convaincu qu’il y avait dans son propos des réponses aux questions que je me posais. Je suis ensuite allé une fois au Séminaire avant de connaître Lacan, et j’ai rencontré Lacan lui-même, parce que Lacan discutait avec Desanti, après la thèse de Desanti sur les "idéalités" mathématiques. Lacan lui posait beaucoup de questions, et luis ça l’ennuyait. Alors il a proposé que je réponde à sa place.

Ariel Pernicone: C’était quelle année?

Jean Michel Vapperau: Ca c’était en 1971. À partir de l’an 71 j’ai commencé à rencontrer Lacan une fois par mois. Il m’invitait à déjeuner ou à dîner et il me posait des questions. À cette époque-là il cherchait à savoir ce que je connaissais. Il me mettait à l’épreuve et, heureusement, j’ai bien passé les épreuves. Mais, au bout d’un an j’étais de plus en plus passionné de la lecture de Lacan, et le fait de le rencontrer directement - j’avais déjà fini une partie de mes études de mathématique - et au mois de juin de 1972, je suis allé le voir pour lui demander de faire une analyse avec lui.

J’étais dans une situation... j’ai complètement laissé tomber toutes mes études à l’université et je me suis installé en banlieue dans un squat, et j’ai vécu comme ça pendant trois ans avec des gens dans une situation sociale tout à fait exceptionnelle.

Ce qui m’intéressait à ce moment-là c’était mon analyse avec Lacan.

J’ai commencé à assister aux séminaires, toutes les semaines, toutes les semaines - c’était encore le Séminaire Encore -. C’est comme ça que je suis allé à tous les Séminaires de Lacan, jusqu’à la fin.

À cette époque-là, je voyais Lacan pendant certaines périodes d’une manière très intense. Le transfert fonctionnait très bien. J’ai lu énormément de choses, j’ai fabriqué ma bibliothèque : j’étais complètement ignorant, je n’avais lu que des choses scientifiques et sur la Mathématique, bref, je lisais le journal, les revues, mais à partir de cette période de l’an l972, j’ai énormément lu. J’ai beaucoup lu sur philosophie, linguistique, et j’ai appris beaucoup de choses.

Je voyais Lacan pendant une certaine période et j’ai mis beaucoup de temps à m’apercevoir que je me trouvais à des moments de coupure, parce que Il me disait : "Venez demain", ou "Venez à midi", ou "Venez demain", et comme ça pendant plusieurs semaines, et puis ensuite, tout à coup, il ne me donnait plus de rendez-vous, et je me trouvais sans le voir.

Et quand j’avais quelque chose à lui dire, je le rappelais, et alors ça recommençait une nouvelle période de rencontres. Mais pendant longtemps, du fait de l’enthousiasme, je ne calculais pas, je ne faisais pas attention, je ne remarquais pas que si je ne cherchais pas à le recontacter, lui il ne me contactait pas. Je ne le voyais que quand il me disait: "Revenez, revenez, revenez".

S’il ne le disait pas, notre rapport s’arrêtait et j’ai pris longtemps pour m’apercevoir qu’il fallait que moi-même je renoue le lien. J’ai étais dans un état de passion et de productivité formidable. Mais je ne voulais plus faire des sciences, je ne voulais que lire Lacan et lire tout le corpus nécessaire pour comprendre Lacan: philosophie, linguistique, anthropologie, etc.

La première année, quand je ne rencontrais Lacan que pour parler de Mathématique, il me disait toujours: "Vous me direz ce je vous dois". Parce que c’est Desanti qui m’avait fait le rencontrer, et Lacan allait me payer. Mais il ne m’a jamais payé. Alors un jour je lui ai dit. "Ecoutez, vous me demandez combien vous me devez, mais je n’en sais rien. Mais, si vous voulez me donner quelque chose, vous pouvez me payer avec les livres que vous avez et que je n’ai pas".

Je n’avais même pas les Ecrits en grand volume, j’avais seulement les livres de poche. Alors, il a prit de la Bibliothèque un volume des Ecrits, quelques livres de Scilicet, et il m’a donné tout ça. A cette époque-là le séminaire n’était pas encore publié

Et un jour, au séminaire, Lacan a parlé de Pierre Soury. J’avais vu, sur une fiche à l’université, que Soury faisait un cours. C’était dans un département que je connaissais, le département de "didactique de la discipline". C’était un cours pour la science de l’enseignement et de la pédagogie. Je connaissais ces gens, qui n’avaient pas d’intérêt pour moi, alors je ne suis pas aller a ce cours. Je pensais que c’était des gens très parisiens, qui faisaient toujours un petit peu de Marxisme, un petit peu de psychanalyse, et j’évitais toujours ces milieux un peu mondains.

Par contre Lacan a dit au séminaire que Soury était très mal en pont, que ça n’allait pas bien, que c’était dur pour lui, qu’il fallait aller l’aider. Il a dit ça en public, au Séminaire.

Alors je suis aller au cours de Soury la semaine après, et justement Lacan était là. Il est resté une heure. Après l’exposé de Soury il a posé une question. Il est aller au tableau pour montrer des choses a Soury, et discuter avec lui, face au public. Et après il a quitté la salle. Soury a marqué une pause - lui aussi se trouvait dans un état transférentiel très vif, ému - et, après la pause il est revenu et il a recommencé son cours. Et c’est à ce moment-là qu’il a dit qu’il avait décidé une chose: il ne voulait plus que personne ne prenne la parole d’une manière directe. Il disait: "c’est trop de bordel, je ne répondrais qu’aux questions écrites. Si vous voulez me poser des questions vous les écrivez et me les envoyez". Après, j’ai écouté la suite du cours, et donc les gens n’intervenaient plus.

Tout cela se passait autour du Séminaire de Lacan, beaucoup de gens qui assistait d’abord au Séminaire de Lacan allaient après au cours de Soury.

Alors, dans la semaine qui a suivi, j’ai pensé, sans l’écrire, un texte, pour expliquer a Soury comme je trouvais son exposé tout a fait inintelligible, et que j’arrivais à comprendre pourquoi son public ne parvenait pas à le comprendre. J’ai pensé ce texte et je l’ai écrit d’un seul coup, je lui ai écrit trois pages, l’une après l’autre. Je les ai tapées a la machine mécanique, pas par e-mail (rires).

Je lui ai téléphoné pour lui dire que j’avais un texte pour lui, tel qu’il l’avait demandé, et il m’a dit: "je ne vais pas le lire, je vous propose de le lire avec vous". Par ce que tout ce que les gens lui racontaient l’emmerdait, et il les chassait. Et il avait raison, il y avait pas mal de confusion.

Alors il m’a proposé de lire mon texte à condition que je sois présent. Et j’ai accepté. On s’est retrouvé à la Maison des sciences de l’homme, où il travaillait. Et là il a commencé à lire mon texte, et à manifester des incompréhensions, à faire des critiques. Mais j’ai accepté de jouer son jeu, et je ne suis pas intervenu, je n’ai rien dit, étant donné qu’il avait dit: "moi je lis et vous, vous écoutez, sans m’interrompre, ça va? »

C’était assez violent, mais c’est comme ça que nous avons commencé à travailler ensemble. À partir de ce moment-là j’ai pu aller au cours de Soury toutes des semaines. Il avait organisé une fois par mois une réunion ou on pouvait lui poser des questions ou des problèmes, à condition de venir les exposés au tableau.

Alors j’ai pris l’habitude, parallèlement a mes rencontres avec Lacan, qui continuaient toujours, de préparer pour chaque mois un petit objet, une petite construction, un dessin, une phrase, un commentaire, que je pouvais présenter en public au cours de Soury. Et ç’a été très bon pour moi parce que, grâce à Soury, j’ai pu parler en public de ce que je faisais avec Lacan uniquement. Je pouvais continuer à travailler avec Lacan, et des fois, lui montrer des choses que j’avais déjà montrées à Soury. Parce que Lacan, dès que je lui parlais de quelque chose, si je lui disais: "J’ai dessiné cela" ou "J’ai écrit cela", il me disait: "apportez-le-moi, apportez......".

Je lui ai donné beaucoup de choses écrites, dont je n’ai jamais eu de nouvelles, il ne m’en a jamais parlé, et je ne sais pas ce qu’il a lu.

Cela ne m’empêchait pas de continuer à travailler, apprendre à lire. Par contre, le cours de Soury me permettait de parler de ça dans un lien social qui était autre que simplement le couple de l’analysant et l’analyste.

Et plus le temps avançait, plus Lacan me faisait venir longtemps chez lui, dans les périodes que je venais chez lui. Des fois je passais toute la journée chez lui, ou une après-midi. Il m’installait dans sa bibliothèque; il venait me chercher, je parlais un peu avec lui, il me renvoyait dans la bibliothèque, pendant qu’il recevait d’autres personnes.

Même un jour il a fait installer, a sa secrétaire, une table au beau milieu de la bibliothèque, avec un lampadaire, et il m’a installé là pour que j’étudie un texte de physique. Et j’ai passé l’après-midi à lire un livre de Decrel. A propos, j’ai trouvé, dans ce livre, une question dont il avait parlé au séminaire la semaine d’avant. Alors j’ai réussi à voir que c’était cette question qui l’intéressait. Donc j’ai décortiqué ça le long de la journée. Alors, j’ai pu passer toute l’école freudienne, qui venait chacun a sa séance, qui durait très peu de temps.

J’ai ensuite travaillé sur cette question. C’était au printemps, et j’ai du travailler jusqu’à l’été. C’était assez important, c’est une question qui est toujours très intéressante, à propos de la dimension de l’espace et de la physique: comment un espace de dimension quatre peut être considéré comme une surface dans un espace plus grand ?

D’autres fois, quand je lui montrais quelque chose que j’avais fait chez moi, il me disait "Aahhh, vous avez trouver quelque chose". Je ne comprenais pas du tout ce que j’avais trouvé. (rires)

Maintenant j’ai mieux compris, je pourrais l’expliquer.

Une autre fois je lui ai parlé d’une réflexion que j’avais faite à propos de mes parents et mes grands-parents, c’était un lien que je faisais avec la sexualité, alors il m’a regardé comme ça, le corps rejeté en arrière, et il m’a dit: "Mais comment faites-vous pour comprendre si bien ce que je raconte? » J’étais très surpris (rires)

Vous voyez, il y avait toute une espèce d’ambiance comme ça, avec un travail très intense, et peut-être une part de suggestion, de manipulation. Mais j’avais entièrement confiance en lui.

Je dois dire que grâce à tout ça je suis passé par plusieurs lectures différentes de ses Ecrits, j’ai pu commencer à lire le séminaire quand il est paru, et j’ai trouvé aussi des réponses à toutes les questions que je me posais aussi bien sur les mathématiques, la musique, la science, et sur notre époque, et sur ma vie personnelle.

Et j’arrivais à formuler ces choses là. C’était donc très productif et très efficace.

Je suis de l’avis que l’on peut, grâce à la psychanalyse, répondre à des questions fondamentales, les plus larges comme les plus intimes, qu’on puisse se poser quand on est enfant, ou à quinze ans, ou à vingt ans, etc.

Alors, bien sur, on aboutit à d’autres questions, de nouvelles questions, mais c’est beaucoup plus intéressant. La différence que je ferais c’est que les gens de ma génération, que je connais, et qui n’ont pas fait ce type de cursus, qui n’ont pas cette expérience, ils restent tous coincés avec leurs questions de l’enfance, de l’adolescence, de l’âge adulte. (rires)

Ils vivent comme ça, complètement coincés. C’est ce que je constate chez beaucoup d’anciens amis.

Ariel Pernicone: Combien de temps avez-vous passé en analyse avec Lacan, et à quel moment?

Jean Michel Vapperau: Je le lui ai demandé de faire l’analyse en juillet de l972, dans son appartement, avant qu’il parte en vacances. Ensuite ça a recommencer en Septembre de l972, et a partir de ce moment là, il y a eu des périodes d’interruption qui étaient plus ou moins longs, parce que j’ai pris du temps à comprendre que c’était moi qui devais lui demander de prendre un rendez-vous avec lui. Alors j’ai fait mon analyse jusqu’au moment de la dissolution, quand il a lu la lettre de dissolution de son école. A ce moment-là je suis retourné une foi le voir, mais c’est sa secrétaire qui m’a ouvert la porte et qui m’a dit: "Il n’est pas là, vous devez lui téléphoner".

Je l’ai appelé mais je n’ai jamais pu le contacter ni le voir.

Il faut dire aussi comment était cette période. A chaque fois que je téléphonais a Lacan, même s’il était en séance, je pouvais lui parler. J’ai l’impression qu’il avait donné la consigne que je puisse le contacter. Je crois que cela a produit beaucoup de jalousie. Parce que j’avais une relation avec lui qui était très intense. J’avais toujours cette possibilité de le joindre par téléphone, même a la campagne: il m’avait donné le téléphone de sa villa à la campagne. Il me disait: "Si vous voulez me parler, appelez-moi".

Tout cela, et ma présence dans sa bibliothèque toute l’après-midi, personne ne comprenait ce que je faisais là. (rires)

La secrétaire, qui comptait l’argent que chaque patient lui donnait, elle devait trouver que je restais très longtemps pour pas payer beaucoup. Elle ne comprenait pas non plus qu’est ce qui se passait. Quand j’avais de l’argent je payais, quand je n’avais pas d’argent je ne payais pas. Lacan avait l’air de s’en foutre complètement. (rires)

Alors Miller a voulu savoir ce qu’il en était de mon analyse avec Lacan. Donc, il a demandé a Gloria. Et Clavreul a voulu savoir aussi, parce que j’avais demandé de rencontrer des passeurs.

Michel Sauval : cela en vie de Lacan ?

Jean Michel Vappereau : Oui, tout ça pendant que Lacan vivait.

Et quand Clavreul m’a dit: "Non, vous n’êtes pas en analyse, vous ne pouvez pas rencontrer des passeurs. Demandez son avis à Lacan". Alors je prends mon téléphone, j’appelle Lacan, et je lui ai dit: "je veux rencontrer des passeurs pour faire la passe, mais Clavreul ne veut pas, il veut que je demande votre avis". Alors Lacan m’a dit: "Allez-y !", "Allez-y !", "Allez-y !".

Donc je retourne voir Clavreul, et il me dit: "Non, ce n’est pas vrai. Je vais lui demander moi-même ».

Je lui ai répondu: "Faites ce que vous voulez".

Quand je revois Clavreul il me dit "J’ai demandé à Lacan et vous n’êtes pas en analyse avec lui". A mon avis, il a demandé à la secrétaire de Lacan et pas à Lacan, parce qu’à cette époque-là Lacan ne parlait déjà avec personne. Toujours est-il que quand Clavreul m’a dit, je lui ai dit "Au revoir", je ne vais pas entrer dans des discussions comme ça.

Et donc Miller aussi a voulu savoir ce qu’il en était. Et il me dit qu’il a demander a Lacan, devant Gloria: "Est-ce Vappereau est en analyse avec vous?" - en réalité, la question exacte était « Est-ce que vous avez analysé Vappereau ? » - et que Lacan aurait répondu "Non". Ce qui est correct, vu que pour Lacan on n’est pas analysé par son analyste, mais qu’on fait son analyse avec son analyste.

Vous voyez, comme Miller lui a demandé: "Vous avez analysé Vappereau?", Lacan a répondu: "Non". Lacan ne m’a pas analysé. Mais ce qu’il n’a pas dit c’est que je ne m’étais pas analysé avec lui. Vous voyez, ces gens cherchent des prétextes, essayent de repasser, de me faire porter le problème que eux ne comprennent pas: ils ne comprennent rien la pratique analytique.

Je ne dis pas que j’ai fait une analyse standard, je ne dis pas que j’ai fait une analyse type.

Lacan a écrit sur les variations de la cure type. Peut être que ce n’est pas très orthodoxe.

Mais mois, ça m’est complètement indifférent, moi j’ai trouvé ce que je cherchais, et même beaucoup plus de ce que j’imaginais. C’est beaucoup plus passionnant que de faire un rituel avec l’analyse. Et je dois dire, donc, que moi je considère que l’analyse n’est pas un rite, ce n’est pas un rituel, qu’il a des conditions d’exercice précises qui sont énoncés par le discours analytique, dans un contexte discursif, pas phénoménologique. Il ne s’agit pas de la question des murs du cabinet ou du divan, il s’agit de conditions discursives pour l’exercice d’une pratique spécifique.

Et j’ai énoncé, l’autre jour, quand j’étais à Apertura, j’ai énoncé des conditions nécessaires du discours analytique, des conditions spécifiques pour que la psychanalyse ait lieu. S’il n’y a pas ces conditions-là la psychanalyse ne peut pas avoir lieu.

C’est pour cela que je parle de rituels. Moi je n’aurais fait mon analyse avec personne d’autre qu’avec Lacan. Je n’aurais jamais demandé à faire une analyse à quelqu’un d’autre.

Et je dois dire que, la suite que j’ai connue depuis vingt ans me confirme dans ce jugement. Je pense que le discours analytique est très nouveau et que la plupart de ceux qui essayent de pratiquer l’analyse ont beaucoup de difficultés parce que le problème du XXième siècle, où Freud a découvert l’inconscient, a inventé la psychanalyse, il n’a pas rencontré d’analysantes suffisamment pugnaces (pugnacité, la volonté de se battre, de lutter), suffisamment exigeants

Le problème de la psychanalyse, déjà avec Freud – Freud avait besoin de produire des analystes pour que ….

Michel Sauval : ... Ferenczi peut être …

Jean Michel Vappereau : Il y a des gens très bien. Ce n’est pas un jugement personnel sur l’un ou sur l’autre. Je dis, seulement, que la difficulté c’est que Freud, comme analysant, a des exigences, vis à vis de sa propre analyse, qu’on ne trouve pas chez les autres. Il avait besoin de produire des analystes pour assurer la survie de sa découverte et de son invention.

Et je pense que Lacan fait la même chose.

Lacan a mieux vu le problème, la difficulté pour les analysants, mais il n’a pas voulu réussir mieux que Freud. Et même avec moi. C’est pour ça qu’il a laissé cette situation qui peut paraître équivoque.

Parce que Lacan, lui, ce n’est pas qu’il n’ait pas rencontré des analysants qui voulaient être des analysants, plus encore que du temps de Freud. Mais Lacan, lui, pour rester "freudien", strictement, pour des raisons logiques qu’il explique - il s’agit, pour lui, de fonder la psychanalyse freudienne - il répète Freud sans jamais le dépasser, il s’arrange pour échouer de la même manière que Freud - avec les analysants -. Et il a produit beaucoup d’analystes.

Alors, on peut dire que, dans le siècle, la psychanalyse a produit beaucoup d’analystes, mais pas d’analysants. Il n’y a pas d’analysants en dehors de Freud et de Lacan ayant cette force, qui interrogent le problème, la question, qui ne satisfont pas avec des réponses trop rapides, qui inventent, produisent, des choses pour répondre a ces questions. Et qui tient à quelque chose, qui tient au Freud au départ, qui doit rester avec un point d’interrogation : la psychanalyse n’est pas un discours clos mais, par contre, c’est un discours qui est achevé avec Lacan.

C’est à dire que Lacan l’a fondé en répétant, strictement, la même chose que Freud.

Et moi je pense qu’a notre époque, nous devons enfin pouvoir nous poser la question: « Qu‘est-ce que c’est qu’être analysant? »

Parce que l’analyste ne peut pas faire faire son analyse à l’analysant. C’est déjà pas mal, s’il ne de met pas en travers ou empêcher l’analysant de faire son analyse. Et Lacan le dit : tout ce que l’analyste peut faire de pire c’est d’empêcher l’analysant de faire l’analyse.

Mais il ne peut pas faire faire l’analyse à l’analysant. Et moi je pense que c’est la responsabilité de chaque analysant d’être exigeant avec sa propre analyse, de vouloir la faire. Et il faut trouver quelqu’un avec qui la faire,

Moi je prétends que, de mon temps, je n’aurais jamais trouvé personne pour faire ce que je voulais faire, en dehors de Lacan, qui m’a laissé faire, qui m’a soutenu et m’a même encouragé à le faire. Je ne connais qu’une seule autre personne qui m’eût soutenu dans ce domaine et qui ne m’a pas dit: "Non, arrête, non, ce n’est pas comme ça, etc.". C’est quelqu’un qui n’est pas du tout dans la psychanalyse. Par contre, tous les autres, les lieutenants du champ, ont toujours tenu des propos de frilosité, de craintes, de timidité, vis à vis de la nécessité, que moi je reconnais, j’éprouve, d’élaborer des réponses à des questions, et des réponses qui ont un effet de changer, et qui ensuite conduisent à de nouvelles questions. Mais cela c’est un progrès. Ce n’est pas une structure close, c’est une structure qui comporte une faille interne, une brisure interne, une fente, c’est une structure fendue, mais qui pourtant est quelque chose qui maintenant est achevé.

Je prétends que dans chaque analyse on peut, en conservant cette structure de refente, je prétends qu’on peut arriver à un achèvement de sa propre analyse.

Le problème qu’il faut se poser maintenant c’est comment commencer?

Lacan a crée la situation où tout le monde se pose la question de la fin. Aujourd’hui tout le monde ne parle que de la passe, mais personne ne se pose la question de comment ça commence, personne. Les entretiens préliminaires, les conditions nécessaires pour que la cure ait lieu, et ensuite, évidemment, l’issue aussi, il faut réunir ces trois éléments pour pratiquer l’analyse.

Et moi, comme j’ai vu que c’était le bordel, la bagaille, la confusion, une lutte de gamin, d’adolescents, comme dans les cours de récréation a l’école, où chacun voulait mesurer sa queue pour savoir si elle était plus longue que celle de l’autre (rires)

Vous voyez, je vous parle de cela parce qu’on va parler de la psychanalyse des enfants (rires)

C’est de ça dont je parle! Chez la plupart de ceux qui sont avancés dans l’expérience, nous arrivons, d’autant plus aujourd’hui, à une situation ridicule dans laquelle on ne parle pas de choses sérieuses. On est là dans des compétitions imaginaires. Le discours se dégrade et il y a des rites, des habitudes. Alors on fait des analyses comme ça.

Nous pouvons comme même pénétrer dans un commentaire plus précis sur ce qui se passe, en tant qu’on peut en parler a partir des publications et de ce qu’on peut lire.

Mais je voudrais surtout insister sur les conditions qu’il faut réunir. Il faudrait qu’on sache dans la cité, dans la ville - c’est une responsabilité politique - quelles sont les conditions d’exercice du discours analytique.

Quand on regarde l’œuvre de Freud, y compris sa pratique, on voit qu’il vient butter, par exemple, sur la réaction thérapeutique négative. Les héritiers de Lacan voudraient nous faire croire que Lacan n’a rien apporté sur cette question, et donc ils tombent dans le piège que Lacan leur a tendu, puisqu’ils s’occupent justement de la passe, de la fin de l’analyse, tout en disant qu’il n’y a pas de fin possible, que Freud a butté sur une impossibilité pour finir, et que nous sommes toujours dans la même situation, parce que Lacan n’aurait pas apporté une théorie du "sur-moi" qui permettrait d’expliquer ce qu’il faut faire dans cette situation.

Cette théorie du "sur-moi" se traduit dans le discours actuel par le "maître" mot du sur-moi qui est jouir. Le mot jouissance est actuellement le "maître" mot du discours lacanien; ce qui est une façon d’enliser le problème.

Lacan apporte exactement ce qui nous est nécessaire pour en sortir de cette situation.

Quel était le problème de Freud? Le problème de Freud c’est qu’il avait la solution du problème de la réaction thérapeutique négative, puisqu’il avait énoncé son éthique - et que c’est un problème éthique - : « Là ou c’était, je dois advenir ». La question que Freud se posait, c’était comment faire intervenir cette solution dans la cure, parce que dans la cure il est exclu qu’il n’y ait aucune injonction, aucun impératif venant de l’analyste. C’est déjà suffisant qu’il dise l’état du discours analytique ou il est arrivé par sa propre analyse avec sa façon de présenter la règle fondamentale. La manière dont on dit la règle fondamentale c’est la manière dont on est arrivé a élaborer le discours analytique dans sa propre personne.

Alors, on voit bien que Freud discute, justement avec Ferenczi qui lui disait « Donnez l’exemple, montrez comment vous travaillez", etc. Il y a des lettres où Freud dit : "Les analysant ne travaillent pas, ils ne font pas leur analyse ». Alors Ferenczi lui dit: "Donnez l’exemple!" Et Freud lui répond (dans « Le moi et le ça »): « Ce pas le rôle de l’analyste de se donner en exemple, Il ne faut pas occuper la place de l’idéal du moi ».

Donc, j’irais plus loin, il ne faut pas non plus indiquer sous la forme d’injonction. C’est pour cela qu’il est nécessaire qu’il y ait un discours analytique, et qu’on le sache dans la ville, dans la cité, dans le pays, dans le monde, qu’on sache ce que dit ce discours. Parce que l’efficacité dans la pratique dépend du degré de l’élaboration du discours. Le problème de la réaction thérapeutique négative du "sur-moi", de la clinique des névroses, est résolu par l’exercice même de la psychanalyse.

Je dis que le fait d’être analysant, le fait de l’être, ça guérit la névrose, on cesse d’être névrosé si on est analysant, à condition qu’on sache qu’être analysant nécessite de certaines conditions, que Lacan énumère, et qu’il a énoncé.

Je peux vous montrer dans les Ecrits comment il les a formulées. Il est vrai qu’il ne les a pas énoncées comme une sorte de liste, ces conditions-là. Mais il a même pris soin de mettre le point principal de cette question, c’est à dire du passage des entretiens préliminaire à la cure, il a pris le soin d’expliquer ça dans un texte qui précède son entrée, son implication dans le discours analytique, qui est le texte sur la causalité psychique.

Bon il explique ce qu’il entend par cause de la folie. Et la seule réponse qu’on peut donner, c’est celle de la responsabilité du sujet Mais ça ne doit pas être fait comme un impératif. C’est efficace si on sait que venir rendre visite a un analyste, si tout le monde le sait, même si ce n’est pas d’une manière consciente, donc si le discours circule, si ça se sait qu’aller voir un l’analyste, c’est prendre une responsabilité. On ne passe pas le pas de la porte d’un cabinet d’analyste sans s’engager dans quelque chose. Et je considère que c’est une chose acquise par le discours analytique, acquise par et pour le discours analytique.

Cela explique ma pratique, quand quelqu’un me demande un rendez-vous pour venir me voir, ce n‘est pas touristique. Si on me demande de venir me rendre visite, même si c’est pour des entretiens préliminaires, non seulement je demande qu’on me paye, mais aussi, si je lui donne un autre rendez-vous, il faut qu’il vienne me voir, c’est une question de principe.

Il faut confronter les sujets a ces nécessités. Cela sera très bon pour eux. Parce que s’ils ne veulent pas venir, ce sont eux qui prennent la responsabilité de ne pas venir, et donc, même une seule rencontre à déjà une efficacité analytique. Mais si on n’est pas capable de dire ça dans le monde, la psychanalyse n’a plus aucune efficacité, elle se défait Si ce n’est pas un engagement de principe, tout le discours se défait, on tombe dans le rituel.

Il y a un certain nombre de conditions discursives, et c’est pour ça qu’on peut, ensuite, proposer a quelqu’un de dire n’importe quoi, de parler a tort et a travers, parce que celui qui parle a une responsabilité.

Ariel Pernicone: Mais, alors, comment appliquer cela aux enfants?

Jean-Michel Vappereau: C’est pour cela que dans ces conditions, il n’y a pas de psychanalyse d’enfants possible.

Avec les enfants, comme avec les gens qui sont dans des institutions médiatrices, il faut pratiquer seulement les entretiens préliminaires. Et ça ne se transforme en analyse que quand le sujet peut prendre une responsabilité.

Ariel Pernicone: Mais les parents viennent avec une demande…

Jean Michel Vappereau: Oui, c’est la demande des parents, ce n’est pas la demande de l’enfant. Les enfants doivent être considérés comme des enfants, je pense qu’il faut respecter leur état d’enfant. Les enfants – c’est le mot même - n’ont pas accès au monde du travail, au mensonge et donc à la responsabilité. Il faut les laisser dans cette situation, le temps qu’ils deviennent adolescents, et ensuite deviennent adultes, et qu’ils acquièrent, petit à petit, les moyens pour prendre des responsabilités.

Je ne critique absolument aucun analyste en disant ça Je dis simplement qu’il faut savoir qu’est-ce qu’on fait. Je pense que la pratique de quelqu’un, qui a lui-même une pratique d’analysant, qui a eu une pratique d’analysant, et qui comprend que cette pratique d’analysant il faudra l’avoir toute sa vie, c’est à dire, s’engager dans des responsabilités, et particulièrement, dans psychanalyse, absolue, puisque ce n’est que discursif ça ne peut être qu’absolu.

Il faut être d’autant plus précis là dessus. Alors, quelqu’un qui parle avec les enfants, qui reçoit des enfants, c’est très bon pour les enfants, mais ce n’est pas de la psychanalyse.

La même avec les gens qui sont à l’hôpital: on reçoit des gens dans les services, où il y a un statut juridique et administratif qui empêche que le sujet prenne la responsabilité, on peut recevoir et parler avec les gens dans ce contexte. Mais il faut, justement, réfléchir à l’avenir et penser qu’il y a une sortie, comme dans l’enfance, vers une responsabilité future, et que le sujet un jour puisse faire son analyse.

Mirta Benitez: À l’hôpital, de ce qu’il s’agit c’est de produire une demande, pour que ce soit ailleurs….

Jean Michel Vappereau: … mais le problème des entretiens préliminaires, de la demande et de la différence entre la demande et le désir, c’est la clinique psychanalytique.

La clinique psychanalytique se trouve principalement là. Lisez ce que dit Lacan dans son exposé aux médecins : il dit exactement cela. Il dit : tout ce que les médecins ont a savoir de la psychanalyse - ils n’ont pas besoin de devenir psychanalystes pour pratiquer la médecine - ce qu’ils peuvent apprendre de la psychanalyse, c’est justement quelque chose qui importante pour la clinique médicale, puisque …qu’est-ce que c’est la clinique?, c’est quelqu’un qui vient vous demander quelque chose et qui ne veut pas obtenir ce qu’il vient vous demander.

Il vous demande quelque chose et il n’en veut pas. Donc, il faut au moins avoir appris çà. Mais on peut apprendre encore plus : comment répondre à cette situation. Et pour y répondre, Lacan nous dit qu’il a construit quelque chose, qui s’appelle la topologie du sujet.

Donc voyez, moi, ce que j’enseigne, c’est principalement un enseignement clinique. Tout ce que je fais comme topologie, prétend répondre à cette situation clinique fondamentale.

Ce qui fait que quand les gens me demandent quels sont les rapports de la clinique et la topologie, je vois tout de suite qu’ils n’ont rien compris à la clinique ni à la topologie, leur question même le comporte. S’ils avaient fait une analyse qui les conduise a de bonnes questions - grâce aussi à Freud et grâce à Lacan, qu’il faut lire à un moment donné: on ne peut pas faire une analyse sans avoir lu Freud et Lacan à un moment donné, même si cela est contester par certains, je m’en fou - pour moi ceux sont des faits attestés, ils sont structurellement attester dans les textes, dans un discours, même si ce discours maintenant se réduit à ces textes, tant pis, j’attends que d’autres, que des lecteurs, prennent ces textes pour remettre en mouvement le discours comme pratique du lien social. La psychanalyse ce n’est pas que des textes, c’est de textes et la pratique du lien social. La psychanalyse c’est un lien social.

Ariel Pernicone : la psychanalyse est un lien social ?

Jean Michel Vappereau : Oui, c’est une façon de se rencontrer, de se donner les moyens de faire un travail spécifique qui consiste a venir apporter sous la forme de demande le fait qu’on soit dérangé par quelque chose, qu’il y a quelque chose qui ne va pas.

Parce que le sujet est déjà, depuis le petit enfant, touché par une intuition. On peut appeler ça comme ça, en grecque, on peut appeler ça un matemata, dans la psychanalyse on appelle ça un trauma. C’est un trou, c’est quelque chose qui ne va pas, dont le sujet ne pas quoi faire, il ne sait pas quoi faire de ce trou. Et Lacan nous a dit même d’où vient ce trou : c’est une intuition ce matemata, c’est comme le nombre, comme les mots, ça vient des malentendus des parents.

Les parents ne s’entendent pas ni parler ni crier. Ils ne se rendent pas compte qu’ils parlent. Ils parlent entre eux mais ils ne se rendent pas compte qu’ils parlent.

Moi quand je parle, je sais, maintenant, que je cherche à dire des choses, mais en plus, je parle.

Qu’est-ce que c’est le symptôme ?

C’est une parole qui oublie qu’elle parle. On parle de la souffrance, on veut dire quelque chose, mais on oublie que la souffrance parle toute seule.

Et ça ç’a laisse des trous, ç’a laisse des trous dans les enfants. Les adultes se conduisent tellement mal avec la parole, qu’aujourd’hui même on a une recrudescence des enfants qui refusent de parler. On a une recrudescence de l’autisme. C’est de l’ordre de la psychose, c’est un fait de discours. Nous avons le discours de la science qui se développe, une forclusion de plus en plus grande de la sexualité et de la parole – parce que moi j’appelle sexualité notre relation avec ce trou.

Donc il n’y a pas de rapport sexuel parce qu’on ne sait pas comment s’y prendre avec ce trou.

Alors, prenons les choses maintenant par l’autre extrême.

La souffrance parle, la vérité parle. Le trou parle tout seul. Mais pour le mettre à l’étude, il faut prendre des responsabilités. On ne peut pas apprendre de quelqu’un d’autre comment se débrouiller avec ça.

Et par contre, qu’est-ce qu’on peut arriver a faire avec l’analyse ?

Elaborer l’écriture de cet objet qui nous dérange pour arriver à faire la démonstration qu’il a une structure de refente, arriver a démontre, en cherchant a l’écrire, exactement comme un mathématicien a des intuitions géométriques, arithmétiques, structurales, et qu’il va se donner la peine d’essayer d’écrire quelque chose, pour construire des objets mathématiques, pour donner une explication de cette intuition. Et on peut arriver à écrire la structure de cet objet, en échec.

C’est à dire, il faut l’écrire, pour montrer et démontrer les raisons de son impossibilité a s’écrire.

Et ça ç’a un effet résolutoire. Il ne suffit pas de dire qu’il n’y a pas de rapport sexuel, on peut pas l’écrire. Il faut, à l’époque de la science, que chacun, d’une manière particulière, dise et écrive son expérience de cet échec. Mais il faut que l’exigence soit très forte.

C’est les conditions du discours de la science qui imposent cette exigence. C’est dans ce contexte là que nous travaillons. Qu’est ce que font toutes les autres pratiques dans ce monde ? Remplacer la parole, le sexe - appelez de Dieu si vous voulez - le remplacer par des machines qui l’écrive sans échec, mais …. elles tombent tout le temps en panne (rires)

Mais on essaye de chasser ce problème. Hors il revient tout le temps, et j’attache beaucoup d’importance au fait que ce travail ne peut être fait que particulièrement, parce que chaque tentative particulière est instructive, est un progrès. Mois j’ai obtenu un résultat par ma pratique, dont je peux faire état publiquement. C’est ce que je fais dans mes cours et conférences. Mais c’est juste pour soutenir, pour encourager a d’autres a en faire autant. Parce que je n’ai aucune illusion sur le fait que ma solution pourra être celle des autres, parce que ma solution n’est pas la même que celle des autres, puisque les autres on besoin de faire leur chemin particulier pour trouver leur solution, et chaque chemin est intéressant. Mais il faut être aussi assez exigent pour aller jusqu’au bout pour construire quelque chose qui est tout à fait concurrent avec le discours de la science, pour témoigner d’une époque, et que cette révolution dans laquelle nous sommes, s’achève, pour qu’on passe à autre chose. Je ne sais pas ce que se sera, je ne suis pas un prophète, l’avenir je n’en sais rien. Mais je pense que tant que nous n’aurons pas résolu, jusqu'au plus extrême, ce problème de quels sont les effets traumatiques du dire, la façon dont l’humanité a toujours utilisé le dire pour faire marcher les hommes au pas, et bien, tant qu’on n’aura pas résolu ce problème, on continuera à développer une structure équivalente au symptôme dans la société, et à occuper toute la politique autour d’un symptôme qu’on peut appeler social, économique, et qui est l’équivalent du symptôme particulier de chacun, et qui conduit à que chacun oublie son symptôme et s’occupe du symptôme collectif. Tout le monde oublie de faire son analyse et s’occupe de la misère du monde

Michel Sauval : mais … on se trouverait là avec un problème de type pastoral : la solution de tous les problèmes du monde serait que tous aillent chez l’analyste ?

Jean Michel Vappereau : Mais justement, la question est que la charité freudienne invite quiconque a faire ça, mais nous nous savons bien que tout le monde ne fera pas son analyse.

Et moi je ne dis pas du tout qu’il faut que tout le monde fasse son analyse. Je dis que l’analyse ça se fait dans le cas particulier, et qu’il faut qu’il y ait un certain nombre de cas particuliers pour faire lien social, pour arriver a construire quelque chose qui achève la question du sujet dans le monde capitaliste et scientifique.

Qui aboutit à quoi ?

A rendre raison de l’impossibilité du rapport sexuel, a que ça rende possible la possibilité d’étude dans chaque cas particulier qui le souhaite. Et qui donne un éclairage sur le problème principal de notre époque - et pas seulement depuis aujourd’hui, mais depuis longtemps -, c’est comment résoudre le problème de la ségrégation humaine. Une société ne peut fonctionner que s’il y a des différences. Mais les différences – regardez dans l’histoire – elles sont entretenues d’une manière sauvage. Il n’y a pas de changement possible : vous êtes né du bon coté vous aurez la chance, vous êtes né du mauvais coté vous n’aurez pas la chance.

C’est scandaleux. Regardez comment fonctionne la nécessité de créer la différence dans la société. C’est entièrement inerte. C’est réglé d’avance comme du papier a musique.

Pour qu’on puisse commencer a parler, pas d’égalité, mais au moins d’un peu de chance, pour que chacun puisse faire sa vie, ce n’est pas une pastorale, pour qu’il y est un vraie je politique ….

Michel Sauval : …je vous posais la question de la pastorale de ce coté-ci : la révolution ou le changement social devrais passer par l’analyse de chacun. Mais cela se propose partout dans la psychanalyse, tant théoriquement – par exemple, opposant le discours psychanalytique au discours du maître comme une opposition dans le champ du social – que pratiquement – l’intégration aux institutions psychanalytiques comme solution sociale.

Lacan disait que Marx était celui qui avait découvert le symptôme dans le social.

Pour changer cet état de chose il doit y avoir une implication sociale qui n’est pas simplement celle d’aller faire une analyse. Si non, j’insiste, c’est sur la psychanalyse que tombe la responsabilité du changement sociale.

Jean Michel Vappereau : Non, non, n’allons pas trop vite, pour être précis.

Je ne dis pas qu’il faut faire un révolution sociale. Je dis qu’il faut achever la révolution dans laquelle nous sommes. Nous sommes dans une période révolutionnaire, nous sommes dans un tournant. Pour moi la révolution ce n’est pas autre chose qu’un tournant. C’est le mot révolution qui le révèle. Nous sommes déjà dans une période révolutionnaire qui a commencé avec le début du XIX° siècle. Pour résoudre ce tour, il faut dire ce qu’il est, et regarder les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour le résoudre. C’est ça ce que je dis. Pour achever la révolution il faut rendre compte de la rationalité, de la raison, de ce qui s’appelle sexualité. Et le discours capitaliste et le discours scientifique, rejettent ce problème qui s’appelle sexualité, qui s’appelle traumatisme sexuel.

Mais pourquoi Marx a-t-il découvert le symptôme ?

C’est parce qu’il décrit très bien le passage du temps féodal au temps moderne, avec l’apparition de la marchandise, qui devient principale, et le marché du travail, et de là se déduit la plus-value, etc.

Hors, qu’est-ce que la marchandise vient occuper comme position ?

Elle occupe la position, en tant qu’objet, de ce qui était, semble-t-il, avant, le discours du maître.

Qu’est-ce que c’est le discours du maître ?

Le discours maître c’est le caractère impératif du dire. C’est justement ce qui est traumatique. C’est ce qu’utilisent, depuis toujours, toutes les civilisations pour faire marcher les choses.

A un moment donné dans l’histoire, ce discours du maître décline. Et on assiste à ce passage du monde féodal au monde moderne.

Et aujourd’hui encore, je prétends que tous ceux qui considèrent le problème de la civilisation, ils ne nous proposent que deux solutions : ou une solution attentive, qui consiste a subir cette situation capitaliste et scientifique, et par contre, les autres, ce sont tous des réactionnaires qui pensent retourner au discours du maître. Parce que ce qu’on appelle le fascisme c’est un retour au discours du maître, ce qui n’est pas possible. Et il y a, même dans le champ psychanalytique, des gens qui croient que la psychanalyse restaure le discours du maître.

Regardez Foucault, regardez en dehors de la psychanalyse, dans le discours philosophique, qu’est-ce que dit Foucault de la psychanalyse ?

Il dit que Freud a restauré le pouvoir oraculaire du médecin.

Non !! Freud a découvert la permanence des effets nocifs de cette fonction oraculaire de la parole.

Fonction oraculaire que nous ne savons pas comment traiter. Et il s’est posé la question de qu’est-ce qu’on peut faire avec ce problème. Et ça donne dans notre époque, majoritairement, une tentative d’évacuer ce problème. Et là vous avez l’autisme infantile. Il y a des enfants qui s’aperçoivent que tellement plus de politique – la politique c’est la parole – tellement peu d’art poétique, d’art littéraire, de style dans la parole, que ça ne vaut même pas le coup de jouer avec les autres avec les mots. Et ils se refusent à participer à l’exercice du discours – avec ses pièges, ses difficultés -. Mais ça conduit à quoi ? L’absence de l’exercice de la parole ça produit une degénération du corps, des maladies, une infirmité du corps. Parce que le corps humain est le corps d’un mammifère prématuré, débile …..

Mirta Benitez : …. Le manque de l’exercice de la parole ?

Jean Michel Vappereau : Oui, bien sur, ça a des conséquences physiologiques, qui deviennent de plus en plus graves avec les années.

Michel Sauval : On le voit aussi dans les symptômes des adultes ….

Jean Michel Vappereau : Oui. Je prétends que grâce à Freud nous avons déjà des moyens et des éléments de manière de nous retrouver dans cette structure. Mais il faut accepter de jouer le jeu avec Lacan et avec Freud. Jouer le jeu avec Lacan ça veut dire lire Lacan, avec toute cette part de difficulté et d’incompréhension.

Ce jeu consiste aussi à interroger, à répondre, à mettre en cause la psychanalyse.

Il faut la questionner, il ne faut pas l’accepter telle quelle, non!

C’est pour cela que les discussions sont nécessaires.

Michel Sauval : Là il y a un point de rapport entre la "pastorale" et le fait d’attendre, parce que la "pastorale" est, d’une certaine façon, le fait d’attendre, d’accepter la fin de l’histoire de Fukuyama, et puis faire de la psychanalyse une philosophie politique pour « survivre » dans ce monde

Jean Michel Vappereau : Moi je dis qu’il ne s’agit pas de survivre dans ce monde, il faut encore le transformer. Les techniques scientifiques, le monde moderne est arrivé à un tel degré de développement, que les choses sont devenues radicales. Ce n’est pas du tout une subversion de ce qui se fait avec la technique, c’est le fait d’ouvrir une possibilité, justement, de futur, même, et y compris, avec la technique. Moi je ne suis pas écologiste.!

Je ne dis pas qu’il faut faire une bonne science bien gentille. La science c’est un fait historique qui marche, qui se développe sans demander notre avis, et ça fonctionnera même avec tous les comités d’éthique que vous voudriez mettre, cela va continuer à fonctionner. Seul le discours analytique, qui est un lieu constitué, à condition que nous voulions supporter cette constitution, est le lieu où peut se poser la question de la responsabilité du sujet dans le monde de la science.

Aujourd’hui, les savants qui ont fait la bombe atomique, ils se posent des questions de responsabilité. Demain, avec les découvertes biologiques, ils auront aussi des problèmes de responsabilité. Mais le discours de la science et du capital ne leur demande absolument pas leur avis, on leur demande produire de résultats scientifiques, et on ne s’intéresse ni aux motivations, ni au désir, ni a la responsabilité. On leur demande des résultats et on les paye pour cela, sans leur demander leur avis. Et leurs produits, leurs inventions, leur échappent.

Le seul endroit ou on peut poser sérieusement la question de la responsabilité, c’est dans le discours analytique. Mais encore faut-il déterminer les conditions d’exercice. Et aucune réglementation, aucun droit, ne réglera le problème de l’articulation interne du discours, pour qu’il soit effectif, qu’il ait une efficace et qu’il ait lieu.

Moi, je ne suis pas en train de dire qu’il faut réglementer; je dis qu’on doit élaborer le discours lui-même. Il faut être capable de le tenir, c’est à dire, de le parler, et de le commenter.

Et il faut organiser des discussions, il faut organiser le débat! On ne peut pas débattre d’une manière facile ces questions : il y a des enjeux passionnants et passionnels très grand, pour pouvoir progresser.

Michel Sauval : Dans ce sens là, comment penser sur une direction dans le travail de la psychanalyse avec des enfants ? Les interviews préliminaires devraient s’adresser aux parents ?

Jean Michel Vappereau: Nous savons, avec l’histoire, ce qu’il ne faut pas faire. Pas d’injonction. Pas d’intimidation. La grande erreur vis à vis des mères ç’a été de les accuser. Elles ont un rôle très important, mais ce n’est pas une accusation ad-hominem.

Le père, il a une importance aussi, qui est un autre rôle. Mais ce n’est pas une accusation ad-hominem non plus, parce que tous ces gens-là dépendent du discours, donc c’est les discours qu’ils portent et qu’ils font parler qui ont des conséquences pour leurs enfants.

On ne peut obliger personne à étudier ces discours dans sa structure

En France, et même en Europe, et sûrement en Argentine, les lacaniens se croient très malins de faire des intimidations aux professeurs de philosophie. Comme la philosophie est terminée, aujourd’hui on ne peut être que professeur de philosophie. Alors, les philosophes cherchent à faire autre chose. Il se trompe! Parce que professeur c’est déjà une activité formidable!

Moi je ne sais pas si je suis mathématicien, mais je suis certainement professeur de mathématique; et je trouve que l’activité de professeur c’est magnifique. Que ce soit professeur de philosophie, de mathématiques, professeur d’anglais, cela est très intéressant, et très nécessaire.

Bon, mais prenez Sartre, il n’était pas content d’être réduit à être seulement professeur de philosophie, alors il a fait une carrière d’auteur dramatique, et c’est un dramaturge brillant !

Mais ça ne l’a pas satisfait et il a voulu s’engager avec une autre chose, et il s’est mit dans l’engagement politique. Mais c’est un faux chemin. C’est vrai que le seul chemin pour ceux qui ne veulent pas se contenter d’être professeur - quoique je pense qu’il est bon d’être un bon professeur, lorsqu’on a un métier et on le fait bien, c’est très important- bon, mais si on veut faire autre chose de contemporain, on peut faire son analyse, c’est une bonne idée

Plutôt que vouloir la faire faire aux autres, c’est déjà bien de se poser la question de comment on va la faire soi même

Bon, mais on a dégoutté tous les professeurs de philosophie de faire leur analyse.

On leur a fait un jeu d’intimidation.

Lacan n’y participait pas du tout. Au contraire, il voulait inviter les professeurs de philosophie pour parler avec eux. Tandis que les petits lacaniens, ils se sont crû malins, de vouloir intimider les professeurs de philosophie, en leur disant « vous ne pouvez pas parler de psychanalyse, vous devez faire votre analyse pour pouvoir en parler ». Le résultat, la réponse a été de dire « s’il faut faire une analyse avec vous pour parler de la psychanalyse nous ne ferons pas de psychanalyse et nous n’en parlerons pas non plus ». Et donc, du coup, on en parle très mal, et même dans la psychanalyse on en parle mal.

Alors, pas d’injonctions, vis à vis des parents

Les parents peuvent savoir, si le discours psychanalytique existe, disons au-delà des textes, parce qu’il y a des praticiens qui s’engagent comme analysants et qui ne pratiquent pas d’injonction. N’importe quel parent peut savoir que la psychanalyse existe, et qu’il peut lui aussi faire sa psychanalyse avec un analyste qu’il choisit. Et le problème est aussi avec qui la faire.

Ariel Pernicone: Maintenant s’il nous arrive un petit enfant qui a peur des chevaux, quelle est la position à adopter face à ce problème?

Jean Michel Vappereau: Vous remarquerez que Freud a contrôlé l’analyse du petit Hans, et qu’elle a été amenée par le père...

Ariel Pernicone: Mais il a reçu le petit garçon a un moment donné

Jean Michel Vapperau: Il peut l’avoir reçu. Il ne va pas lui coller la vérole. Ce n’est pas une maladie contagieuse. Il peut recevoir le petit Hans. La psychanalyse n’est pas quelque chose de contagieux.

C’est au contraire, la décision de faire son analyse c’est très rare et très difficile.

Par contre, vis à vis de l’enfant, le père a mené l’analyse de Hans sous le contrôle de Freud. De toutes façons, après ce qui s’est passer - Lacan le dit très bien dans télévision, ce n’est pas moi qui le dit – a l’entrée du territoire de la phobie, les psychanalystes ont peur, ils reculent. A l’entrée de ce territoire - je parle du territoire au sens éthologique, au sens ou les animaux vont pisser aux coins pour marquer leur territoire, et ça a des effets physiologiques parce qu’ils peuvent faire la parade dans ce territoire ; ça ce n’est pas de la psychanalyse c’est de l’éthologie; nous même, nous dépendons aussi de l’éthologie ; mais la sexualité humaine n’est pas, justement, la sexualité animale – bon, ça n’empêche que, dans ce lieu tensionnel, imaginaire, corporel et physique, qui touche au réel, les psychanalystes ont peur, et donc ils ne l’approchent pas.

Parce que la discussion avec un petit enfant qui a une phobie c’est la même chose que discuter avec un alcoolique, ou un défoncé, ou un drogué. c’est la même chose que parler avec n’importe quelle personne qui a une adiction

Moi je dis que la lâcheté des contemporains de Freud et de Lacan en matière d’analyse, en tant qu’analysants, ç’a aboutit au développement de l’adiction, dans tout ce qu’on connaît dans la société industrielle comme trafic de drogue.

C’est le même problème qu’avec la phobie enfantine. Vous avez à faire à un discours de menteurs. Et il faut faire une partie de poker, avec l’enfant. Et c’est aussi fatiguant que de jouer toute la nuit et plusieurs jours d’affiler, et plusieurs nuits d’affilé sans dormir, pour parler avec un enfant qui est dans un état de phobie. Heureusement, des fois il est plus fatigué et il s’endort. Mais il y a aussi des insomnies qui peuvent durer plusieurs jours

C’est tout à fait passionnant d’aller sur ce territoire avec l’enfant.

Et en plus on peut dire qu’est-ce qu’on doit faire là: il faut faire la comptabilité de toutes les impossibilités, des impasses, du discours de l’enfant, pour arriver à faire l’exhaussions des impossibles, pour résoudre l’angoisse, et réussir à créer une structure de faille dans ce territoire,.

Mais une structure de faille qui, en plus, fonctionne, qui mette chaque sujet à contribution, en acte. Regardez la simplicité de la mentalité idéologique de nos contemporains : sous prétexte qu’il y a de l’impossible, ils disent que plus rien n’est possible. C’est le discours qu’on entend dans la psychanalyse : l’analyse ne peut pas finir, etc.

Tout ça, sont les prétextes de la lâcheté, et en plus, de la débilité mentale chez les adultes.

Je parle de l’exhaussions, de la liste complète des impossibilités. Ce n’est pas une complétude fermée sur elle-même, c’est une complétude des incomplétudes.

Il n’y a pas un thérapeute qui pense ça, alors que Lacan l’a écrit et l’a dit: Il faut faire l’exhaussions de toutes les impasses pour résoudre l’angoisse. Et cette angoisse, elle existe, et on peut l’éprouver aussi quand on fréquente un phobique. Demandez aux familles des alcooliques ou des drogués, vous allez voir que l’angoisse, ils ont à faire à ça. Justement, ce sont des lieux où le sujet renvoi l’angoisse à l’autre. Je considère que c’est une question de résolution, d’engagement et de décision que d’affronter ces lieux, en voyant qu’il s’agit de lieux de discours, qui ont une structure interne. Je fais la théorie de ce lieu, avec mes dessins. Le territoire de la phobie, je le dessine, je montre les traits de structure qu’il y a à l’intérieur, comme si je faisais la cartographie de ce lieu. C’est très simple. J’essaye de ne pas avoir une pratique intimidante ou injonctive vis à vis de mes contemporains, je fais des efforts énormes pour ne pas leur faire peur.

Ils ont tous peur de moi et de mes dessins. Ils n’osent pas les regarder. C’est tout à fait étonnant!

La théorie du de la jouissance - que je disais que c’est le maître mot actuellement - ce que Lacan appelait "le champ lacanien", il est déjà largement construit, et j’en ai fais la théorie dans mes livres. Et ce sera lu par les générations qui viendront. Je n’ai aucune inquiétude, je n’attends rien. J’attends seulement que d’autres s’y mettent. C’est pour cela que je me promène, je visite, je rencontre, je pense que les rencontres sont toujours bonnes: on ne sait jamais ce qui peut sortir d’une rencontre. Donc, je rencontre, je reste toujours très attentif à la rencontre.

Ariel Pernicone: On ne voudrait pas partir sans vous poser, encore, une paire de questions de plus. On lisait que vous posez que la structure d’Œdipe c’est une question que l’enfant se fait. Est-ce un? Ou est-ce deux?

Jean Michel Vappereau: J’ai démontré d’une manière très élémentaire et simple qu’on pouvait lire une formule de Lacan, d’une manière instructive et qui donne à reflechir. Le signifiant S un (S1) et le signifiant S deux (S2), Lacan écrit un "S" avec un index 1, un index 2, alors on pouvait lire "S1" comme une question, ou "S2" comme une question.

Je pourrais parler longtemps, il y a des problèmes très intéressants concernant justement l’unicité, l’unité et la question du 2, ce que dit Freud de la libido, et qu’on ne peut comprendre que si on a la bande de Mœbius. Il y a nécessairement deux faces à chaque endroit de la surface, mais le résultat global c’est qu’il n’y a qu’une seule face.

Voyez la différence entre Freud et Jung, avec cette histoire de « 1 » ou « 2 ». Parce que la formule de Freud c’est celle de dire qu’il y a nécessairement deux libido mais c’est peut-être la même. Alors voyez, le pauvre Jung, il ne comprend pas et il dit «<bon, alors il n’y en a qu’une » . Mais avec la bande de Mœbius vous pouvez commencer à penser le fait qu’une surface a nécessairement deux faces, localement, et que, finalement, par la construction de l’ensemble, ça fait une seule face.

En quoi cela est-il important pour les enfants?

Parce que je tiens que les enfants se posent des questions de ce genre, beaucoup mieux que les adultes, et à n’importe quelle occasion. Ils s’aperçoivent qu’il y a des difficultés à compter « un », à compter « deux », à reconnaître que deux choses sont pareilles et àvoir quand les choses sont différentes. Rien n’est donné d’avance. Tout ce qu’ils reçoivent c’est un discours qui vient de l’extérieur. S’il y a quelque chose d’inné, c’est le discours qui est déjà soutenu par des générations d’avant. Et le corps, il tombe là-dedans, où le langage tombe dans le corps, et il faut se débrouiller avec ça.

Alors le thème des parents c’est, bien sur, de savoir s’ils sont un ou s’ils sont deux.

Cela est un point de vue très insuffisant, parce qu’il n’y a plus de questions.

J’ai parlé tout à l’heure du malentendu des parents: ça c’est vraiment quelque chose de déterminant, ça vient occuper la place de la castration. Les parents ne s’entendent pas crier, ni dans la scène primitive quand ils font l’amour, ni quand ils se disputent, les deux extrêmes du trauma. Entre les deux il y a plein d’autres occasions de malentendu

Mais moi je voudrais surtout insister sur le fait qu’à mon avis, la vraie question, c’est de se poser la question des analyses des adolescents. Parce que, les enfants, c’est bien qu’il y ait dans leur entourage des gens qui ont été analysants ou qui sont analysants. La pratique de l’analyse met en disposition de pouvoir mieux parler avec les enfants - si encore on a été un analysant exigeant avec soi-même -.

Le problème actuel c’est que beaucoup d’élèves de la psychanalyse espèrent découvrir, dans un fantasme d’origine, la structure qu’ils pourraient tenir de leur pratique de l’analyse et de la lecture de Freud, et de la lecture de Lacan. Ils espèrent la découvrir a l’état natif dans les enfants.

C’est justement de que dit Freud a Hans quand il le rencontre. Il ne lui dit pas « grâce à toi j’ai découvert la sexualité infantile ou la phobie, ou l’inconscient ». Non, il lui dit « je savais déjà qu’un jour un petit enfant viendrait… »

Et voilà ce qu’écrit Freud à propos de l’homme aux loups. Il dit, au début de l’analyse, qu’il va faire une analyse de la névrose infantile « chez un adulte », et il dit que chez un enfant, c’est tellement peu élaboré, que ça n’a aucun intérêt.

Donc, voyez ce fantasme de ces gens qui pratiquent l’analyse d’enfant et qui essayent de nous faire croire qu’ils vont nous apprendre quelque chose sur la structure, que se sont de grands thérapeutes car ils parlent avec les enfants. Ils démontrent, simplement, qu’ils n’ont rien compris, ni au problème, ni à la pratique. Par contre, Freud dit qu’il est intéressant d’étudier, par l’analyse, une névrose infantile chez un adulte.

Le vrai scandale c’est à l’adolescence.

Les enfants, il faut les élever avec les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Bien sûr, il faut éviter les mauvais traitements, c’est ça le principal pour les petits, les mauvais traitements physiques et les mauvais traitements discursifs.

C’est important parce qu’il y a des fous qui croient à leur être, qui croient a ce qu’ils sont, qui veulent, par exemple, de l’autorité, et qui, donc, s’identifient à l’autorité.

On n’a de l’autorité qu’en fonction de ce qu’on fait soi-même, en tant qu’on est auteur. C’est en fonction de ce qu’on fait qu’on est autorisé à quelque chose.

Par contre, à l’adolescence, on regarde les adolescents, avec un air, comme ça, un peu amusé, et tout le monde est d’accord pour penser - vous savez, à la télévision ils disent: « le douleureux passage de l’enfance à l’âge adulte » - et tout le monde est d’accord  (c’est des adultes) pour dire qu’on sait très bien qu’est-ce que c’est le problème : le problème c’est qu’ils ne baisent pas, et que le jour où ils vont trouver un partenaire sexuel, et qu’éventuellement ils dairons des enfants, tout sera arrangé.

Ce n’est pas vrai, c’est une escroquerie. De baiser, je trouve ça très bien, comme pour travailler, je trouve cela très bien aussi, mais pouvoir aimer, pratiquer la sexualité, se reproduire éventuellement, avoir des jeux sexuels même pas animaux – parce que la sexualité humaine n’est pas réductible à la sexualité animale, dans la sexualité humaine vous avez des sujets que sont hétéro mâles et des hétéro femelles, vais vous avez aussi des homosexuels mâles et des homosexuels femelle, c’est une pratique sexuelle humaine que d’avoir un partenaire sexuel, d’avoir des jeux sexuels avec la personne qu’on a choisi -, donc, pour pouvoir aimer, pour pouvoir travailler, il faut être capable d’articuler la question du sexe, mais sur son terrain propre. E je dis que c’est un terrain logique, discursif, et qui ne peut se conquérir qu’avec une pratique effective. Il faut être passé par la construction et la déconstruction, l’élaboration et l’échec, et de nouveau l’élaboration et l’échec, un certain nombre de détours, pour arriver à une solution resolutoire, qui comporte une part d’impossible, d’incompréhension, d’impossibilité radicale, pour arriver à avoir un détachement absolu, pour pouvoir justement aimer, travailler, élever ses enfants si on en a, et faire autre chose si on n’a pas d’enfants.

Les théories eugénistes du sexe voudraient nous faire croire que le but de la sexualité est la reproduction. Que les états s’intéressent aux théories eugéniques, bon, d’accord, parce que c’est l’intérêt de l’état d’avoir une population qui se développe et qui se reproduit, toutes les civilisations ont été eugénistes, et elles ont raison.

Mais, est-ce que le discours psychanalytique est obliger de participer à cet effort de guerre ?

Et d’entretenir un discours erroné, qui produit de la misère, concernant le sexe.

Il faut dire que la sexualité humaine n’est pas du tout calquée sur le modèle de la sexualité animale.

Déjà la différence des sexes, et le fait, donc, qu’il y ait des hommes et des femmes, et que la sexualité humaine repose au moins sur quatre termes - parce que non seulement il y a des mâles et des femelles hétéros mais aussi il y a des homosexuels mâles et femelles - et qu’il y a des paranoïaques qui ne supportent pas la différence, et que ça fait des homophobes qui réprouve l’homosexualité, et cela crée aussi des antisémites qui réprouve les juifs.

Parce que la question, depuis la diaspora de la Bible, c’est bien la question de la différence exposée d’une manière radicale.

Vous voyez, ce n’est pas une pastoral se poser la question de la différence sous tous ses aspects, pour avancer, pour progresser, dans la formulation et la pratique de toutes les questions où nous rencontrons des difficultés avec la différence et avec l’identité.

Parce que chacun, à l’adolescence, se pose de nouveau ces questions d’identité et de différence.

Et là, proposer aux gens, adolescents, même a 12 ans, de trouver les moyens de s’engager dans un travail, ou ils vont devenir adultes, c’est a dire, s’engager, prendre des responsabilités, on peut le faire très jeune, à ce moment là on peut pratiquer la psychanalyse. On peut pratiquer la psychanalyse avec des gens très jeunes. Et dans le futur, je suis certain que des analysants inventeront des procédures, construiront des configurations, ou on pourra faire faire une analyse véritable à des sujets très jeunes.

A l’adolescence, c’est une très bonne réponse l’analyse.

Sinon vous aurez toujours ce développement d’adictions, de misère, pas seulement sexuelle, corporelle, sociale.

Je pense que c’est des questions dans le monde où il y aura encore à innover, mais dans le cadre, dans le contexte, dans les cordonnées de Freud et de Lacan. Et qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, et que ça risque de durer encore longtemps, et que quand on s’y mettra un peu plus sérieusement, ce sera aussi difficile et longs.

Je ne pense pas que les choses puissent s’arranger comme ça. C’est pour ça que des maintenant je crois qu’on doit commencer à être sérieux, ce n’est jamais trop tard. Il vaut mieux commencer le plus tôt possible, sans avoir l’ambition de convaincre tout le monde. Il faut que chacun regarde dans sa propre assiette.

Ce sont des propositions.

Ariel Pernicone: Je ne sais pas s’il y a quelque chose de plus ..

Jean Michel: Vous voyez pourquoi je voulais vous parler de ça a propos de la question de l’Œdipe.

J’ai réduit la question sur l’Œdipe, qui m’intéresse beaucoup, mais j’ai déjà écrit des choses sur cela, mais je voulais profiter de cette occasion pour préciser ces questions...

Mirtha Benitez: C’est bien! d’accord...

Jean Michel Vappereau: Petite enfance, adolescence, âge adulte. A l’adolescence, pour moi, la réponse que donnent les adultes aux adolescents, je trouve ça absolument épouvantable. Ça fait des jeunes qui vont avoir après, beaucoup de difficultés...

Mirta Benitez: …tout à fait ...

Jean Michel Vappereau: …des enfants qui infantilisent d’autres enfants.

Mirta Benitez: Nous avons pensé à ce problème, c’est un ?, c’est deux ?. Tu dis que la fonction paternelle est le résultat d’une nécessité structurelle, qui fait que quelque chose s’efface, ou disparaît pour apparaître d’une autre façon. Pourrais-tu préciser un peu ça?

Jean Michel Vappereau: Si on rapporte les choses en fonction du dire - j’ai produit beaucoup de commentaires pour articuler la fonction du phallus et la castration à la fonction du dire - la castration, je ne le précise toujours, il s’agit de la castration de l’Autre, c’est celle là qui est importante - alors, j’ai donné beaucoup de développement - ensuite, la question du phallus et la castration, il ne faut pas confondre cela avec la fonction paternelle.

La fonction paternelle, elle se réalise dans le miroir, c’est la question de la droite et de la gauche, qui se distingue de la question de qu’est-ce qui s’inverse dans un miroir.

Dans un miroir se sont des objets de dimension trois qui voient une de ses dimensions s’inverser, mais on ne sait pas laquelle. Et c’est ça la fonction paternelle qui permet de pacifier, de créer une coupure dans le champ, justement, de la tension phobique et de la tension du territoire de la jouissance. C’est cette équivoque qu’il y a au miroir, le fait qu’une dimension s’inverse, mais on ne sait pas laquelle.

Lacan formule la fonction du père en disant que le père mérite notre estime et notre amour, à condition, justement, que son désir soit perversement orienté, c’est à dire, fait d’une femme, il est constitué d’une femme. En effet, la perversion n’est pas une mauvaise chose. Dans mon discours, c’est la folie qui est toujours une mauvaise chose. Les fous pervers, ils sont des emmerdeurs, mais ça c’est vrai aussi des névrotiques fous et des psychotiques fous. Mais tant qu’on n’est pas fou, ce n’est pas grave la psychose, la névrose, la perversion. C’est nécessaire!

La psychose, nous vivons dedans, avec la science et le capital. La névrose, c’est ce qui permet, a peut près, que ce soit viable, et il faut une certaine dose de perversion, justement, pour introduire la dimension symbolique. Le fétichisme ce n’est pas une mauvaise chose, c’est nécessaire, évidemment, pour s’amuser un peu au lit. (rires)

Nous n’avons pas de moralisme ni de recette a propos de cela. Nous avons une position éthique et discursive : c’est « pas de folie », c’est a dire, ne pas se prendre au sérieux, ne pas se croire, ne pas se croire père, etc.. Parce que le père justement, il fonctionne bien quand il est inconscient. Tout le monde lui aboie après, on dit « le père n’est jamais sûr », la mère on sait parce qu’elle porte l’enfant, mais le père on ne sait pas.

Ce n’est pas vrai.

Le père est toujours sûr, comme le pire - c’est à la fin de l’Odyssée, le père d’Ulysse dit « le père et le pire, c’est toujours sur » -. Le problème c’est qu’il est inconscient, il est incapable de témoigner de ce que c’est qu’être père. On ne peut pas se penser père, on ne peut rien dire d’intéressant sur la paternité, là est l’impossible. Ecoutez tous les témoignages des pères, ce sont des témoignages de maternage, et en plus il souffrent, les pauvres père, comme moi, parce que il ne peuvent pas donner le sein, il ne peuvent pas porter l’enfant, etc,. Alors, c’est la confusion totale, mais ce ne sont jamais que des témoignages de maternage. Le père est inconscient.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire la fonction paternelle?

C’est introduire cette dimension, qui est celle d’une exception, mais qui est absolument banale. Je te le disais au miroir : une dimension s’inverse, donc il y a une dimension exceptionnelle - cela ne commence qu’avec la dimension trois de l’objet - mais on ne sait pas laquelle, c’est une quelconque. Ça c’est exceptionnel et banal, c’est ça qui va permettre de constituer le nom du père.

Et qu’est-ce que c’est le nom du père pour un enfant?

C’est, par exemple, la manière dont la mère fait les pâtes, ou le riz, ou comme elle fait les tomates farcies, ou la manière dont elle apprend a un enfant a se laver les dents, ou à se laver les pieds, ou à se laver ce qu’il veut. Le problème est dans les techniques de civilisation. Quand il y a des choses, comme ça, qu’on apprend aux enfants - en général c’est la mère qui leur apprend -, c’est quelque chose qui va, pour l’enfant, avoir cette qualité. Il sait très bien que c’est tout à fait banal, mais pour lui, c’est exceptionnel. Justement, quand il va devenir plus grand, et qu’il va rencontrer quelqu’un avec qui il va faire une autre famille, il y aura des conflits au niveau du nom du père, car chacun a ses petits trucs de civilisation, absolument banals, mais exceptionnels.

Il faut que la mère transmette quelque chose comme ça, qui est le fruit d’une négociation entre elle et le père. Vous voyez, la manière dont ma mère faisait les pâtes était géniale (rires)

Je rencontre une femme et elle s’en fou complètement des pâtes (rires).

Ma mère faisait beaucoup mieux (rires)

Cela peut venir se glisser dans toutes les occasions où il y a des techniques de civilisation. Voilà pourquoi je conseille de lire le manuel d’Ethnographie de Mause, Marcel Mause a fait un livre dans lequel il énumère toutes les choses qu’on peut observer dans une civilisation qu’on ne connaît pas. Et c’est génial, parce qu’il y a des tas de choses que nous n’imaginons même pas, parce qu’elles sont si banales et habituelles, qu’on n’imagine pas que ce sont des faits qui sont marqués.

Ça va jusqu’au techniques du corps, la manière de nager, la manière de se laver, et aussi la manière de se masturber. Mause en parle, ça fait partie des techniques du corps

Donc, la particularité exceptionnelle et banale qui constitue la symbolisation, cette fonction du père, qui permet justement symboliser, de ne pas être fou, d’accorder de l’importance sans accorder de l’importance, et d’éviter d’être la belle âme - parce que la folie c’est la belle âme, la folie c’est « toujours les autres qui ne vont pas bien, moi, je fais toujours bien ».

La fonction paternelle a un rapport avec la folie

Vous voyez, c’est une nécessité pour qu’il ait un certain tempérament, pour qu’il y ait une façon de fonder, d’échouer, de reconnaître qu’il y a de l’importance dans les échecs, et qu’on peut recommencer, qu’on peut faire autre chose.

Voyez ce monde de plus en plus bloqué dans lequel nous sommes, dans lequel on vous dit « Ah! une fois que les choses son faites comme ça, ça ne change plus », « si vous n’avez pas fait des bonnes études à tel âge, si vous n’avez pas tel emploi, vous ne trouverez plus de travail, si vous n’avez pas suivi une carrière pendant cinq ans, bon c’est fini, la vie c’est finie!! »

C’est un scandale. La vie est pour vivre et on peut toujours recommencer.

Ariel Pernicone: Pourriez vous faire une synthèse de ce que vous pensez de la folie….

Jean Michel Vappereau: Le point c’est qu’on doit se référer au deuxième chapitre, dans l’écrit qui s’appelle «A propos de la causalité psychique» où il prend l’exemple du fou dans Molière, c’est Alceste dans le Misanthrope, c’est celui qui dit « tous les autres ne vont pas bien, ce que moi je fais c’est bien ». Alors Lacan donne une définition générale de la folie, c’est la méconnaissance. Et puis il décline cela en trois points. D’abord, principalement, c’est la belle âme, reprocher aux autres et on ne s’occupe pas de ses affaires. Ensuite il dit qu’être fou c’est se croire ou s’y croire, et voyez que toute l’ontologie, toute la philosophie entretient une sorte de folie, puisque aujourd’hui encore, même à notre époque, on a connu des systèmes idéologiques qui visaient à faire l’homme nouveau : le stalinisme, ou le sur-homme des nazis.

C’est différent de Nietzsche. Il faut lire Nietzsche. Mais ce n’est pas facile en tirer les conséquences qui sont de faire croire a l’être de la perfection Vous voyez qu’aujourd’hui, encore, il y a des gens qui veulent nous faire croire qu’ils sont psychanalystes. Psychanalyste on ne peut pas l’être. C’est comme le père, le psychanalyste aussi est inconscient.

On peut être analysant, on peut être professeur.

On peut être père de famille, mais on est inconscient, donc on n’est pas beaucoup père de famille. Cette fonction de l’être, c’est la folie. La psychanalyse parle d’un sujet qui est refendu, divisé, ce n’est pas un être, ce n’est pas une position stable. Alors quand on vous demande votre identité, et tout le droit moderne qui vise à la responsabilité individuelle, c’est quelque chose qui fabrique de la folie, et qui, au bout de compte, minimise le problème de la responsabilité.

On n’est pas responsable de son image corporelle. On est responsable de ses actes, et même des actes de paroles dans l’analyse. Le fait de dire, c’est une responsabilité. Ça peut tuer, alors, c’est très grave de dire, de parler. C’est une responsabilité énorme de ne pas être fous.

Parce que, jusque dans la parole, les conséquences de ce qu’on dit son imprévisibles. Alors la responsabilité de l’analysant qui parle est grave, et on comprend pourquoi Freud était pessimiste. Parce que prendre la responsabilité sur les conséquences de ce qu’on dit, sans être capable de prévoir les conséquences, ce n’est pas facile.

La dernière définition de la folie que donne Lacan, c’est que le sujet est parlé par un Autre, le sujet qui se considère parlé par un autre. Donc, tout le monde est fou, parce que nous sommes des êtres débiles qui sont parlés par le discours de l’éducation, et donc, nous sommes nécessairement des fous, la notion de l’inconscient l’implique.

La notion du fou c’est lié à la notion de l’inconscient. C’est pour ça qu’il faut prendre la responsabilité. On m’a fait dire que je disais que c’était naturel. Pas du tout, n’est pas du tout naturel. C’est une situation initiale, mais qui ne se présente que dans la situation du discours humain. Cette folie n’a rien de naturelle.

Le fait d’être parlé par un autre, conduit, effectivement, à reprocher des choses à cet autre, qu’on retrouve dans la définition de la belle âme et de la méconnaissance.

Ce qu’il faut alors, apprendre à quelqu’un, même s’il y a des hallucinations : « bon, très bien, tu a l’impression d’être gêné dans ton monde par l’autre, mais c’est le cas de tout le monde, les autres, seulement, ils ne se rendent pas compte », parce que la névrose c’est se mettre des tampons pour ne pas s’apercevoir qu’on est dépendant de l’autre.

Pour finir, d’un mot, il est très difficile de ne pas être fou, puisqu’on est déterminés, effectivement, par l’Autre. Mais c’est une décision de se refuser de se prêter a la deresponsabilisation.

Je vous donne un simple exemple à propos de la ségrégation humaine: La faiblesse des organisations anti-racistes, c’est que c’est un problème qui ne finira jamais, dans le sens de cette logique Freudienne. Il faut bien penser bien que, raciste ? Certainement je suis xénophobe, raciste, antisémite, je déteste mes voisins, je déteste tout le monde, même je me déteste moi-même. Mais moi je me refuse à me prêter à un discours raciste, je trouve intolérable qu’on se laisse aller a la facilité de régler le problème au détriment des autres. C’est ça ce qu’il faut apprendre à dire.

Bien sûr je suis préoccupé, par une question, comme tout le monde, pour un problème d’identité et de différence, mais je refuse à abandonner ma responsabilité et mon problème au détriment des autres, pour prendre une solution facile.

C’est ce genre de question qu’il faut discuter.

Ariel Pernicone: Nous vous remercions, tous les deux, votre générosité dans la transmission. J’ai lu par-là, que vous vous définissez, comme un lecteur des Ecrits, essentiellement, et comme quelqu’un qui enseigne a lire.

Jean Michel Vappereau: Oui, oui!...

J’essaye de faire un travail d’alphabétisation, parce que je crois qu’on ne sait pas lire. Avant de pouvoir écrire, il faut lire, apprendre à lire.

Ariel Pernicone: La lecture est un travail!?

Jean Michel Vappereau: Oui, c’est un travail, oui ! Il y a des choses qui sont dans les séminaires qui ne sont pas dans les Ecrits, mais rien qui soit important.

Je dis encore deux choses : pour lire les Ecrits, il faut lire les Séminaires. C’est la méthode Freudienne, la méthode de Champoleon : il faut avoir deux versions de textes pour lire, pour pouvoir les confronter .

Les Ecrits sont une rédaction condensée, au sens technique, condensée ça veut dire rhétorique, qui évoque, qui a un certain style. Et puis les Séminaires développe une technique importante, par exemple, sur le triangle de Pascal et sur le nombre d’Or, on trouve très peu de choses dans les Ecrits, et pourtant on trouve dans les Séminaires un développement très important.

Pour lire Lacan dans les Ecrits il faut lire, en plus, beaucoup d’autres choses. Mais Lacan donne précisément, tous les moyens pour trouver les références de ce dont il parle. Je disais au commencement que j’ai passé dix ans de ma vie à fabrique ma bibliothèque

Je crois que ce serait intéressant d’en former une avec le corpus Lacanien et Freudien - et s’amuser en faisant une bibliographie - qui aurait pour but de mettre à disposition ce corpus.

Mirta Benitez: Merci beaucoup Jean Michel, merci beaucoup Paula.

Jean Michel Vappereau: Maintenant vous aurez beaucoup de travail! (rires)

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