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Número 5 - Junio 2002
Interview a Cathérine Dolto-Tolitch
Realizé par Ariel Pernicone

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Ariel Pernicone: Au début, je voulais vous demander en quoi vous vous pécialisez et si vous avez reçu une influence de l´oeuvre et l´enseignement de votre mère.

Catherine Dolto-Tolitch :Oui, je suis spécialisée en haptonomie. Frans Veldman qui a fondé l’haptonomie en 1945 et travaille toujours avec nous, la définit comme la science de l’affectivité. L’haptonomie science humaine phénoménologique et empirique, s’adresse aux êtres humains de leur conception à leur mort, dans le soin et l’ éducation au sens le plus large du terme. A base d’haptonomie, on peut pratiquer le contact prénatal, mais aussi travailler en haptopsychothérapie-haptoanalyse avec des enfants lourdement handicapés ou bien des patients en souffrance, soit parce qu’il ne s’agit pas d’une indication d’analyse, soit parce qu’ils ont déjà fait une analyse qui leur laisse des souffrances affectives douloureuses. Avec l’haptonomie, on peut travailler le matériel archaïque d’une façon différente de la psychanalyse et avec une bonne efficacité. Le travail avec les enfants avant la naissance et pendant les premiers mois de la vie avec les enfants normaux, comme avec les enfants en difficulté, est un travail de prévention tout à fait passionnant. Grâce à ce travail, je peux utiliser tout ce que j’ai reçu de ma mère en l’ajoutant au savoir haptonomique. Je me suis ainsi forgé un outil de travail clinique que je crois assez unique et dont je constate quotidiennement l’efficacité.

Ariel Pernicone: Quel a été le rapport avec votre mère. Quels souvenirs avez-vous de Françoise Dolto en tant que mère. Comment était-elle quotidiennement.

Catherine Dolto-Tolitch : Françoise Dolto n’a pas été seulement ma mère, j’ai eu aussi la chance qu’elle soit pour moi une très grande amie. Nous avons toujours été extrêmement proches et complices dans le rire comme dans le travail. J’ai assisté à sa consultation à Trousseau, j’ai été son assistante pour toutes les émissions radiophoniques, et nous avons écrit et réfléchi ensemble bien souvent. Au quotidien, elle était avant tout une femme gaie, drôle, et très légère à vivre. C’était une mère très soutenante, toujours responsabilisante, jamais culpabilisante. Elle était vraiment dans la vie comme elle était dans ses livres. Nous avons vraiment été éduqués comme elle le raconte dans ses ouvrages. Je pense que c’est pour cela que je ne me suis pas sentie écrasée par sa personnalité, ce que d’ailleurs elle disait très clairement souhaiter. Ce qui était très agréable c’est quelle ne se prenait jamais au sérieux et qu’elle était toujours prête à écouter les critiques la concernant et à rire d’elle même, même dans la période où elle a été très gravement malade à la fin de sa vie et où j’ai pris beaucoup soin d’elle à ce moment-là.

Ariel Pernicone: Raccontez-nous comment est née l´idée du livre "Enfances" qui vient d´être édité en espagnol ( Infancias. Editorial Libros del Zorzal )

Catherine Dolto-Tolitch : Le livre Enfance est né à la demande du photographe Brésilien Alecio de Andrade qui avait demandé à Françoise Dolto de commenter ses photos d’enfant. Peu à peu le projet à évolué et il a été décidé qu’elle produirait plutôt un texte où elle raconterait son enfance, mais étant très débordée et peut-être ayant des résistances intimes car c’est la première fois qu’elle abordait publiquement le sujet, elle n’arrivait pas à écrire ce texte. C’est donc à la demande d’Alecio, en complicité avec lui et avec elle que je lui ai proposé de l’interroger pour l’aider à pouvoir enfin faire ce récit. Nous avons donc passé quelques heures autour d’un magnétophone.

Ariel Pernicone: En différentes préfaces vous avez écrit autour de cette perception clinique particulière qu´avait votre meère ainsi que cette capacité pour déchifrer le langage et les perturbations sévères des enfants, au point de la considérer comme "atypique" ( Sic.) Quelles ont-été à votre avis, les raisons de cette possibilité de lecture tellement aigüe?

Catherine Dolto-Tolitch : Il est toujours difficile de comprendre pourquoi et comment un être humain se développe tel qu’il est. Elle se disait elle même atypique et c’est pour ça que je me suis autorisée à reprendre l’ expression. Il me semble qu’elle avait un type d’intelligence particulier et que très tôt sa famille l’a interpellée Pour ne pas tomber dans la pathologie, elle a trouvé cette position de clinicienne observatrice précoce de l’entourage familial. Je crois que c’est parce qu’elle a été un bébé très douloureux et qu’elle a vécu cette séparation brutale à une nurse qui l’adorait et avec laquelle elle vivait certainement des choses très agréables sur le plan sensoriel, qu’elle a développé une très grande sensibilité à la souffrance des bébés. Elle me disait souvent qu’un de ces appuis avait été une vieille amie de sa mère, très artiste, et elle aussi très atypique, qui lui avait dit que dès le jour de sa naissance à la maternité, elle s’était demandé ce que ce bébé-là venait faire dans cette famille. Je ne peux pas en dire plus, il me semble que c’est bien que les choses dans ce domaine restent un petit peu mystérieuses et que tout ne soit pas explicable.

Ariel Pernicone: Je me souviens avoir lu de vous: "Attrappée dasn le tourbillon des événements les plus dramatiques, deuils, guerres, névroses familiales, elle sauve sa peau en devenant clinicienne". La psichanalyse, a été pour elle une question de vie ou de mort symbolique". Que pourriez-vous nous raconter para rapport à ceci?

Catherine Dolto-Tolitch : Je crois que dans la réponse précédente j’ ai déjà donné l’essentiel de ce que je peux répondre à cette question-là. Quand on interroge les gens en France, on voit que les familles ont été vraiment ébranlées par la succession de la guerre de 14-18 et de la guerre de 40 et on constate combien ces drames sont encore actifs dans la pathologie des gens de nos générations. Quand on lit la correspondance de Françoise Dolto, publié en France en 1991, correspondance qui va de sa toute petite enfance jusqu’à la fin de son analyse, on voit à quel point à cette époque la culpabilité était l’instrument éducatif principal. Quand on sait à quel point le sentiment de culpabilité est un poison violent pour l’être humain, on comprend que pour Françoise Dolto la psychanalyse a été la seule issue alternative à une grave névrose. Quand elle avait douze ans sa sœur aînée est morte d’un cancer et la petite Françoise a été culpabilisée de ne pas avoir assez prié pour la sauver. Par ailleurs sa mère lui a fait savoir que si elle avait eu le choix entre ses deux filles, elle aurait préféré que ce soit elle, Françoise, qui meure car elle l’aimait moins que sa sœur. De plus elle venait d’un milieu bourgeois où les femmes ne font pas d’études et n’ont pas de métier. Il me semble que si elle n’avait pas trouvé l’analyse, étant donné son intelligence, sa sensibilité et sa force, elle aurait été en grand danger.

Ariel Pernicone: Quelle était sa façon de travailler avec les enfants qu´elle analysait? Vous avez une anecdote ponctuelle qui illustre sa position comme analyste?

 

Catherine Dolto-Tolitch : C’est à peine possible de raconter sa façon de travailler avec les enfants, je crois qu’il faudrait des heures. Il me semble que quand on lit les séminaires de psychanalyse d’enfants ou bien même la plupart de ses livres où elle donne des exemples cliniques, on peut assez facilement l’imaginer. Ce qu’on peut dire, c’est qu’elle faisait d’abord une anamnèse extrêmement poussée de l’histoire familiale avec étude sur deux ou trois générations du côté de chaque parent, et une très grande attention portée à l’histoire de l’enfant dans ses moindres détails, c’est-à-dire conditions de la grossesse, conditions de la naissance, séparation précoce, et petites maladies intercurrentes. Cette anamnèse qui ressemblait un peu à une enquête était le socle sur lequel elle fondait ensuite son travail. Elle disait le plus souvent "vous" aux enfants en signe de respect, elle utilisait beaucoup, comme on le sait, la pâte à modeler et le dessin. On a souvent dit qu’elle était avant tout une clinicienne géniale, mais il faut savoir que dans l’après-coup, elle était capable de référer explicitement tous ses actes et tout ce qu’elle avait dit ou pensé à sa théorie de l’Image Inconsciente du corps et des castrations Symboligènes, sa clinique était toujours étayée par cette réflexion. Je n’ai pas d’anecdotes ponctuelles, je crois que je n’aime pas beaucoup les anecdotes à propos du travail psychanalytique. Si on veut avoir des illustrations des propos que je viens de tenir, il suffit de lire ses livres, où elle rend volontiers compte de sa clinique avec beaucoup de liberté et de générosité. Il faut aussi remarquer qu’elle a été une des premières à oser faire une consultation publique avec un public de psychanalystes qui intervenaient dans la cure en tant que tel

Ariel Pernicone: Sin dudas el caso clínico de su obra mas trabajado y debatido por todos los analistas ha sido " El caso Dominique ". Que menciones le ha hecho Francoise Dolto acerca de su trabajo con él?

Usted conoce cual ha sido el destino posterior de este joven? Dolto volvió a verlo en alguna oportunidad posterior?

 

Catherine Dolto-Tolitch : Je sais que jeune homme du " Cas Dominique", après la fin de sa cure a vécu un temps dans un lieu de vie ouvert par un pédagogue original appelé Fernand Deligny, où il a été installé pour lui un atelier de poterie. Françoise Dolto a pris souvent de ses nouvelles. Plus tard je crois qu’elle a perdu sa trace.

Ariel Pernicone: Quelles ont été les influences les plus importantes dasn la formation de Dolto comme analyste?

Catherine Dolto-Tolitch : Françoise Dolto disait souvent que parmi ses maîtres il y avait bien sûr Freud, Suzie Morgenstern qui l’a formée au dessin d’enfants, René Laforgue son analyste, et Garma , on contrôleur. Mais elle disait aussi que les bébés étaient ses maîtres.

Ariel Pernicone: Comment étaient les rapports entre votre mère et Lacan? Pourriez-vous nous raconter un souvenir que vous avez que nous permette de cerner le rapport entre eux?

Catherine Dolto-Tolitch : Françoise Dolto et Jacques Lacan ont été des compagnons de route. Il était déjà psychiatre et psychanalyste quand elle a commencé à s’intéresser à la psychanalyse et ils ont cheminé ensemble tout au long de leurs vies. Ils étaient des collègues et avaient des rapports amicaux en tant que collègues, mais contrairement à ce que l’on croit, on ne peut pas dire qu’ils aient été de véritables amis, partageant l’intimité et se faisant des confidences. De temps en temps ils dînaient ensemble, c’était la plupart du temps autour du travail, lors des congrès ou des réunions, assez rarement chez l’un ou chez l’autre. Ils ne partaient pas en vacances ensemble, ni en week-end, mais les deux couples avaient des rapports cordiaux. Je pense qu’ils étaient unis essentiellement par la passion commune de la psychanalyse et par le désir de la fonder et la découvrir de plus en plus. Souvent les gens essayent de comprendre en quoi Dolto était Lacanienne, il me semble que c’est une question idiote, forcement ils ont partagé des points de vue, des concepts, et défriché des champs très proches, mais pour autant je ne crois pas qu’on puisse dire que Françoise Dolto était Lacanienne. L’histoire les a beaucoup rapproché, mais leur façon de voir originale était par moments très proche, par moments très éloignée.

Ariel Pernicone: Quelle place accuppait la religion dans sa formation et sa vie en général? Comment pensez-vous que ceci a influencé son oeuvre et sa position comme analyste?

Catherine Dolto-Tolitch : La religion avait été assez importante dans son éducation puisqu’il s’agissait d’une famille catholique traditionnelle. Elle avait une quête spirituelle incessante, mais qui allait bien au-delà de la religion catholique. Elle s’intéressait beaucoup à Ramakrisna et à toutes les spiritualités en général. Elle n’était pas pratiquante, mais avait la foi et elle l’a eue toute sa vie. Sa foi a beaucoup influencé son travail dans la mesure où sa croyance dans une transcendance a nourri sa vision du sujet sans que cela ne soit jamais dans la « bondieuserie ». Pour bien comprendre il faut lire ce qu’elle a écrit sur l’Évangile et l’ancien testament (« L’évangile et la foi au risque de la psychanalyse » publié chez Gallimard). Elle appelait Jésus le "maître du désir" et voyait en lui un libérateur poussant toujours les croyants à aller jusqu’au bout de leur désir, ce qui était une vision très anticonformiste de la religion. On dit d’ailleurs qu’ au Vatican ces écrits avaient été très mal vus et qu’on avait pensé les mettre à l’index. Cependant, dans sa pratique quotidienne, elle ne se présentait jamais comme une praticienne catholique.

Ariel Pernicone: Dans la visite que Dolto a faite en Argentine une grande quantité d´analystes se sont bénéficiés directement avec ses enseignements. Néanmoins, il est resté un certain malaise à cause d´une comparaison malheureuse qu´elle a faite par rapport aux disparus dans la dictature militaire. En étant un sujet tellement sensible à notre histoire, pourriez-vous nous dire quelle était sa position (si jamais elle vous en a parlé)?

Catherine Dolto-Tolitch : Je ne me souviens plus très bien de cet épisode douloureux. Françoise Dolto pensait toujours en analyste et ça a été sa force et parfois sa faiblesse. Sa force parce que cela lui donnait une vision toujours originale et jamais influencée par des notions sociologiques ou politiques. Sa faiblesse était que lorsqu’elle s’exprimait ainsi sans tenir compte du tout du contexte et de ceux qui l’écoutaient, cela pouvait lui donner des propos abruptes, maladroits, et parfois insupportables à entendre pour ceux qui vivaient la situation. Elle oubliait qu’elle parlait à des gens qui entendaient sur le registre du conscient et du psychologique ce qu’elle exprimait à propos de l’inconscient et de la psychanalyse. Elle n’avait pas la prudence de ceux qui veulent se protéger en aménageant ses paroles pour qu’elles soient politiquement correctes. Par ailleurs elle pensait vite et parfois elle avait tendance à parler trop vite, surtout avec les journalistes, parce qu’elle n’était pas du tout méfiante. Les journalistes, comme vous le savez, aiment s’emparer d’une phrase et souvent cela lui a joué des tours en France aussi. Elle ne se protégeait pas, disait ce qu’elle pensait, mais si on restait en dialogue avec elle sur le même sujet et qu’on lui montrait les dimensions sociales et politiques, elle pouvait les entendre, seulement sa première pensée était toujours une pensée d’analyste. C’est pour cela que tout ce qu’elle a écrit sur la sexualité féminine a été si novateur et si original, parce que justement elle n’a tenu aucun compte ni de la politique, ni de la sociologie. Elle a beaucoup regretté ce qu’elle avait dit en Argentine, non pas je pense sur le fond exactement, mais sur la forme, trop résumée, trop abrupte, et sans avoir développé toutes les subtilités de ce qu’il y avait à penser dans une telle situation. C’est quelque chose qui est resté toujours douloureux pour elle.

Ariel Pernicone: Francoise Dolto a réalisé une importante tache de vulgarisation adressée aux parents, même par des interventions par la radio, en plus des publications que nous connaissons dans ce sens. Que pouvez-vous nous dire par rapport à ça? Pourriez-vous mentionner une expérience ponctuelle qui vous semble importante?

Catherine Dolto-Tolitch : Françoise Dolto avait le très grand souci de faire profiter tous les enfants et tous les parents de ce que les enfants en souffrance lui apprenaient dans le cadre de son cabinet. Elle avait toujours, comme citoyenne, le souci de prévention et trouvait désolant que l’on continue à éduquer les enfants d’une façon qui était névrotisante, alors que trop d’enfants avaient besoin d’une cure uniquement parce que cette éducation avait été pathogène. Elle pensait que sa tache était de diffuser le plus possible les connaissances qui permettraient qu’on éduque les enfants avec plus de respect pour le sujet qu’ils étaient de façon qui les enferme moins dans une culpabilité étouffante et une dépendance à leurs parents. C’est pour cela qu’elle a accepté ces émissions de radio, elle a toujours dit que prendre la décision d’accepter cette nouvelle approche avait été une des décisions les plus difficiles de sa vie. Dans un premier temps, elle a parlé en direct avec des auditeurs, sur la radio Europe I, sous le pseudonyme, imposé par le conseil de l’ordre des médecins de Docteur X, c’est moi qui triais les questions. Ensuite elle est allée à France Inter où elle travaillait uniquement sur des lettres. Là, nous avons vécu une expérience passionnante parce que l’évolution du public a été patente. Les premières lettres évoquaient un pipi au lit en quelques lignes. À la fin, nous avions des lettres de 30 à 40 pages dans lesquelles des parents, des gens très simples souvent, analysaient eux-mêmes la situation en faisant un travail de réflexion considérable et très impressionnant. Souvent leurs lettres se terminaient : "Est-ce que j’ai bien compris, est-ce que le problème se situe bien là où je l’ai vu ?", et la plupart du temps c’était vrai. Cela était vraiment très émouvant de constater cette évolution du niveau des lettres qui était générale. Très souvent, plus tard, elle a été arrêtée dans la rue, dans de nombreux pays francophones, par des gens qui lui disaient soit qu’ils avaient été éduqués grâce à elle, soit qu’ils avaient éduqué leurs enfants en l’écoutant chaque jour. C’est parce que cette émission a eu un succès fantastique que Françoise Dolto a cessé de recevoir des patients à son cabinet pensant qu’à cause de la notoriété de l’émission, la rencontre avec les patients était biaisée par des jeux de transfert sur la personne publique qu’elle était devenue. Elle a alors pris sa retraite pour continuer à ne recevoir que des enfants confiés à l’assistance publique, c’est-à-dire soit des enfants abandonnés, soit des enfants séparés de leurs parents qui vivaient en institution, ou parce qu’elle pensait qu’elle avait encore beaucoup à faire pour eux et surtout qu’ils étaient protégés des effets de transfert par leur situation. Ce renoncement a été assez douloureux pour elle, mais il s’agissait d’une position éthique sur laquelle elle n’a pas hésité un seul instant.

Ariel Pernicone: Que pouvez-vous nous raconter autour de la tache hospitalière de votre mère? Combien de temps s´est-elle consacrée à ceci? Dans quels endroits? Aimait-elle cette tache?

Catherine Dolto-Tolitch : Françoise Dolto a d’abord travaillé à la polyclinique Ney puis au centre Claude Bernard dans le service du docteur Jenny Aubry qui est la mère d’Élisabeth Roudinesco. Cette femme fut une des première à être médecin des hôpitaux chef de service, c’est elle qui y a fait entrer la psychanalyse. Parallèlement, ma mère, a toujours eu une consultation à l’hôpital Trousseau, qui avait commencé à la fin de ses études dans le service de pédiatrie de l ’hôpital Bretonneau. On lui avait demandé de se tenir aux urgences pour recueillir tous les enfants dont les urgentistes savaient d’évidence qu’ils n’avaient rien d’organique, mais qu’il y avait une difficulté névrotique ou d’éducation. Elle les recevait, et elle avait tant de résultats positifs que son patron en prenant sa retraite l’a confiée à celui qui lui a succédé à l’hôpital Trousseau. Là, chose étonnante, elle a travaillé 30 ans en étant dans une situation de "passager clandestin» . C’est-à-dire qu’elle n’a jamais eu de poste officiel, n’a jamais touché un sou, mais elle avait quand même une secrétaire et un bureau à sa disposition ! C’est là elle a inventé cette consultation publique qui a été formatrice pour bien des élèves et où elle a fait un travail tout à fait original. Il est intéressant de préciser qu’il est tout à fait illégal qu’un hôpital abrite quelqu’un sans qu’il soit officiellement engagé et on peut dire que cela ressemble tout à fait à Françoise Dolto, originale et atypique, d’avoir ainsi travaillé à l ’assistance publique tout en refusant toujours les contraintes de l’assistance publique. Récemment on a fêté les 100 ans de l’hôpital Trousseau et il m’a été demandé de venir rendre compte tout à fait officiellement de cette carrière secrète, clandestine, et pourtant très connue.

Ariel Pernicone: Comment était sa fonction d´enseignante pour d´autres analystes? Il est frécquent de citer, par rapport à Dolto, cette expérience particulière qu´elle développait, dans laquelle elle ´réalisait des entrevues ou traitements oú participaient une grande quantité d´analystes pour observer sa tache comme analyste en forme directe. Que savez-vous de sa position par rapport à ceci? Que pouvez-vous nous dire autour de la position de Dolto comme "maître" d´autres analystes? Savez-vous quelle éatit son idée de la formation?

Catherine Dolto-Tolitch : J’ai déjà répondu en partie à cette question, Françoise Dolto n’a jamais voulu se reconnaître comme un "maître", elle considérait réellement très vite les jeunes analystes qu’elle fréquentait comme ses égaux. Elle leur donnait ce statut, elle leur donnait cette confiance. Elle ne voulait pas faire école, mais elle a eu le souci de transmettre ce qu’elle savait. Elle a donc pour cela tenu un séminaire pendant des années, dans lequel elle a transmis toute sa théorisation de l’image inconsciente du corps à travers les échanges à propos de cas cliniques. Elle a également tenu pendant des années un séminaire où elle commentait les dessins d’enfants amenés par des analystes ou des pédagogues. Enfin, elle a inventé, comme je l’ai dit plus haut, cette façon particulière de faire des cures avec un public d’analyste, qui fonctionnait un petit peu comme un cœur antique mais qui n’était pas comme vous le formulez dans votre question des observateurs. Leur présence avait une importance et elle s’adressait à eux de manière à ce que, d’une certaine façon, ce soit une consultation dans laquelle ils avaient leur part comme co-thérapeutes, même si c’était elle qui menait la cure. Parfois un enfant, ou elle même s’adressaient au public qui avait une fonction tierce véritablement active dans le travail. Les cures se déroulaient avec ce même public pendant des mois, c’était un procédé très différent de celui de la présentation de malades que l’on faisait à l’époque. Je crois qu’elle a été la seule à travailler ainsi et que ça a été sa façon de former les analystes.

Leur tache était de prendre des notes à tour de rôle. Françoise Dolto était toujours prête à se remettre en question et à écouter les autres, même si elle tenait très fermement ses positions. C’est pour cela que son mode de transmission n’a pas été celui d ’un maître qui enseigne ex cathedra mais plutôt celui d’un artisan qui révèle son savoir faire dans l’échange.

Ariel Pernicone: Comment était Dolto en écrivant? Quel était son rapport avec l´écriture? Vous vous souvenez d´un moment ponctuel? Par exemple, avez-vous des souvenirs de votre mère en train d´écrire une oeuvre ponctuelle? Je vous demande ceci car couvent on met plus en valeur sa position comme clinique que comme écrivain.

Catherine Dolto-Tolitch :Quand Françoise Dolto a commencé à écrire, nous avons découvert qu’elle était un auteur qui était totalement absorbé par sa tâche. Au début, il nous est arrivé, les trois enfants et le père, de venir à 11 h du soir dans son bureau lui demander si on allait dîner. Elle était alors toute surprise de nous avoir oubliés tellement elle était concentrée sur son travail. C’étaient des moments particuliers car en dehors de ça elle était une mère et une épouse très disp onible. Pas forcément en quantité mais toujours en qualité. Nous avions tous appris à faire avec, c’est-à-dire à nous accommoder des périodes d’écriture et à nous organiser mieux pour que nous ne soyons pas dépendants d’elle. Évidemment, comme tout était prétexte à rire dans la famille Dolto, on se moquait un peu de tout ça. Par ailleurs elle était un auteur qui retouchait énormément ses textes, en relisant sans cesse son travail, la formulation qui exprimerait sa pensée de la manière la plus juste. Elle avait le sens de la métaphore poétique et elle ne se gênait pas pour inventer des mots quand le vocabulaire Français ne lui fournissait pas ceux qui étaient assez clairs pour elle. Ses manuscrits étaient pleins de retouches et de ratures et de petits papiers collés de part et d’autre pour rajouter un paragraphe. Heureusement elle travaillait avec des secrétaires qui savaient se débrouiller pour sortir un texte dactylographié avec ces objets étonnants dont nous avons encore des exemplaires aux archives. Bien sûr le travail aurait été très différent pour elle si elle avait connu les ordinateurs.

Ariel Pernicone: Que pouvez-vous nous dire autour des trois séminaires de Dolto qui ont été publiés? Savez-vous comment ont-ils été produits? Comment se développait ce dialogue tellement intense et direct avec les thérapeutes qui y assistaient qui est resté si vivement concrétisé dans ces trois livres?

Catherine Dolto-Tolitch :Les trois séminaires ont été publiés pratiquement comme ils se sont déroulés. Le travail d’écriture a été surtout un nettoyage du texte de façon à ce que ce qui était des échanges avant tout parlés, dans lesquels les intonations ou les échanges de regards font partie de ce qui donne sens, a été modifié pour que la lecture soit aisée et rende compte de la qualité des échanges. Françoise Dolto se posait toujours en égal des gens qui lui présentaient des cas, et en même temps avec son expérience clinique et son âge, elle leur montrait souvent des pistes originales qu’ils n’avaient pas vues. Elle pouvait être assez directe dans sa façon d’intervenir, certains la vivaient parfois comme un peu brutale, elle allait droit au but. Les séminaires rendent bien l’atmosphère de ces échanges, qui je crois ont été très formateurs pour les participants car on y parlait vraiment de la clinique toujours en articulation avec la théorie de l’image inconsciente du corps. Françoise Dolto insistait beaucoup de l’engagement et la rigueur éthique de l’analyste c’est-à-dire à la façon dont elle pensait qu’il ne devait pas sortir de sa place dans l’ institution pour se positionner en éducateur.

Ariel Pernicone: Comment ont été les derniers temps de la vie de Françoise?

Catherine Dolto-Tolitch : En 1982, après la mort de son mari Boris Dolto, ma mère a contracté en Tunisie la maladie du légionnaire, qui a évolué en fibrose pulmonaire. Elle a d’abord été obligée d’avoir de l’oxygène la nuit, puis les derniers mois de sa vie, elle était sous oxygène en permanence. Pour elle qui était une personne vive, ayant une démarche bondissante et rapide, le fait d’être en permanence liée à une bonbonne d’oxygène par un long fil de plastique qui arrivait dans son nez a été une épreuve très douloureuse. Cependant elle ne s’est jamais plainte et a toujours gardé son humour, même dans les situations les plus dangereuses. Elle riait d’elle, elle riait de nous tous ensemble, elle nous parlait beaucoup de la manière dont elle avait le sentiment d’avoir accompli sa vie et elle est entrée dans la mort comme elle a vécu, c’est-à-dire avec gravité, curiosité, et j’oserais dire joie de vivre malgré tout. Ça a été une grande leçon pour nous tous de l’accompagner dans cette période où elle était étrangement rayonnante. Souvent les gens qui venaient la voir arrivaient avec le visage triste et repartaient tout joyeux du moment qu’ils avaient passé avec cette femme qui parlait de sa mort avec sérénité. Elle a eu souci de prévenir elle même certains analystes de la gravité de son état afin d’éviter qu’ils apprennent son décès par la radio ou par une autre personne

Ariel Pernicone: À votre avis, quel a été l´apport le plus important de l´oeuvre de Françoise?

Catherine Dolto-Tolitch : Il est difficile de dégager un apport plus important que d’autres dans l’œuvre polymorphe de Françoise Dolto. Sur le plan théorique, évidemment, c’est la question du sujet et du désir qui est la plus passionnante chez elle et bien sûr la façon dont elle étayait toutes ses réflexions cliniques sur sa théorie de l’image inconsciente du corps, que sans cesse elle remaniait et faisait évoluer. On peut penser que la façon dont elle a fait passer les idées psychanalytiques dans le grand public est un aspect aussi très important de son œuvre. En France, on peut dire qu’en ce qui concerne la prise en charge des petits enfants, dans les familles, en pédiatrie ou en thérapie, il y a un avant et un après Dolto. On ne sait pas par exemple qu’elle s’est battue aussi pour les enfants sourds afin qu’on leur propose très tôt la langue des signes (sans pour autant s’opposer à ce qu’ils apprennent aussi à parler plus tard) et qu’elle était très soucieuse de ce qui se passait en pédiatrie et à l’école.

Ariel Pernicone: Pour terminer, je vous demande de nous raconter un souvenir qui illustre comment était sa personalité et son attitude comme analyste d´enfants.

Catherine Dolto-Tolitch : Je ne peux pas raconter de souvenirs pour illustrer sa personnalité en tant qu’analyste. Il y a des souvenirs d’enfants de psychanalyste comme tous les enfants de psychanalyste en ont, surtout ceux dont les parents avaient leur cabinet à la maison. Ces souvenirs-là sont des anecdotes qui n’apportent rien, si ce n’est un souvenir attendrissant de notre enfance. Ce qui était particulier quand elle parlait de ses cures, c’était d’abord sa position de respect profond pour le sujet, quel que soit l’état de la personne de l’enfant quand elle le rencontrait et sa manière d’écouter en engageant toute son écoute corporelle, en laissant résonner en elle ce que disait l’autre, ce qui lui permettait d’entendre en écho comme si elle même pouvait se souvenir encore de la façon dont elle avait traversé sa propre enfance.

Ariel Pernicone: Comment était le rapport de Dolto avec la psycanalyse et quel a été selon elle son apport le plus important?

Catherine Dolto-Tolitch : J’ai déjà répondu en ce qui concerne l ’apport le plus important. Je crois que la rencontre entre Françoise Dolto et la psychanalyse a été d’abord salvatrice pour elle. La psychanalyse sa transmission.

l’ont toujours passionnée jusqu’à la fin de sa vie, elle n’a jamais été blasée. Tout à la fin quand il lui est arrivé de se déplacer en fauteuil roulant, nous pouvions discuter ensemble de la façon dont ça lui permettait de mieux comprendre la dépendance de certains enfants.

Ariel Pernicone: Finalement je voudrais vous demander: Quelle était "la cause de Dolto"?

Catherine Dolto-Tolitch :C’est une question difficile que vous posez là. Je pense que la cause de Dolto c’était le désir, c’est-à-dire son souci de toujours permettre au sujet du désir de se sentir libre d’aller son chemin et de ne pas être aliéné par des limitations névrotiques de lui-même ou des autres. Elle faisait toujours ce pari du sujet, elle faisait confiance au sujet, même quand un enfant était très très dégradé et je crois que c’est en ça qu’elle était originale. Je crois qu’elle avait un profond amour des humains et que cet amour des humains l’a soutenu toute sa vie, même quand elle avait affaire à des situations qui pouvaient paraître désespérées. Elle avait le génie de voir toujours ce qui était positif, ce qui était du côté du désir sans jamais être critique vis-à-vis des parents névrosés et névrosants. Elle savait toujours porter un regard d’espoir sur l’autre.

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